990797954_B975244608Z.1_20150409171820_000_GVH4A4V62.1-0.jpgOmero Marongiu-Perria est sociologue de l'ethnicité et des religions (Maghreb, islam), spécialiste en politiques publiques et management de la diversité. Il propose une parole libre, apaisée, sage et construite, pour une société pacifiée qui regarde son avenir en face.

Il m'a fait l'honneur de répondre avec sincérité aux six questions posées à chaque interviewé dans mon livre "L'avenir est en nous".

Omero Marongiu-Perria, Dame Sagesse vous a invité à sa table et désirerait mieux vous connaître.

1. Comment vous présenteriez-vous ?
Il n'est jamais aisé de se présenter de manière simple et concise ; on peut, à loisir, être très prolixe comme trop réservé. Pour ma part, il y a quelques éléments importants que j'aimerais mentionner en guise de présentation. C'est tout d'abord ma filiation, à travers la famille qui m'a vu naître ; fils d'immigrés italiens, venus de la province sarde du Campidano en 1957 pour s'installer définitivement dans le bassin minier de Valenciennes, je suis le dernier d'une fratrie de 7 enfants, tous nés et ayant toujours vécu en France. Voici un premier élément qui fonde le caractère pluriel de mon identité.
C'est ensuite mon parcours religieux et ses évolutions ; né dans une famille catholique, pas très pratiquante, j'ai été baptisé puis confirmé. Durant mon adolescence, je me suis détaché de toute pratique religieuse, tout en aspirant à trouver des réponses à mes questionnements métaphysiques. A l'époque je côtoyais, dans le quartier minier, des jeunes de tous horizons migratoires, mais je trouvais une proximité plus grande avec mes camarades d'origine marocaine et algérienne. Leur regain de pratique religieuse, alors que nous avions à peine de 16 à 18 ans, m'a interpellé.
C'est à travers de nombreuses discussions, des lectures, mais surtout en observant leur manière de célébrer l'office, que je me suis progressivement rapproché de l'islam. Converti à cette religion quelques jours avant mes 18 ans, j'ai réussi progressivement à mettre en cohérence les valeurs fondamentales que mes parents m'ont transmises avec ma pratique de l'islam. Voici un deuxième élément qui fonde le caractère pluriel de mon identité.
C'est également mon parcours scolaire et professionnel et la richesse de milliers de rencontres ; à l'instar d'Obelix tombé dans la marmite de la potion magique lorsqu'il était jeune, je suis tombé dans la « marmite » sociologique à l'âge de 19 ans. Pour moi, les études de sociologie ont sonné comme une sorte de révélation ; c'est une manière de comprendre le monde, dans sa complexité, qui s'ouvrait au fur et à mesure que je progressais dans mes études.
De 1989 à 2002, il m'a fallu 13 ans pour gravir tous les échelons jusqu'au doctorat, mais le soutien de mes parents, de mes frères et sœurs, de mon épouse, ont été très précieux pour m'aider à aller jusqu'au bout d'un long parcours. La soutenance de ma thèse a été un moment extrêmement fort pour moi ; mon père avait une santé très déclinante à l'époque, touché par la « maladie du mineur », et il décédera deux mois après l'obtention de mon doctorat… Parallèlement à mes recherches doctorales sur la religiosité des jeunes, J'ai entamé un parcours professionnel, ininterrompu de 2001 à ce jour, dans le domaine de l'anti-discrimination et du management interculturel. Autant dire que cet éléments constitue une part très importante de mon identité plurielle.
Il y aurait encore tant de choses à mentionner, comme le caractère interculturel de mon couple, mon épouse étant venue du Maroc, et moi-même ayant pénétré sa culture en profondeur tout en pratiquant l'arabe littéraire et l'arabe dialectal marocain. Je pourrais également mentionner mon parcours associatif militant, qui m'a fait passer de l'attachement à l'islamisme vers la défense ferme d'une société laïque et pluriculturelle. Je m'attarderai peut-être ici simplement sur l'élément qui a posé les grands jalons de mon parcours depuis mon enfance, à savoir l'école de la république. Durant tout mon parcours scolaire, puis universitaire, quelques professeurs(es) ont joué un rôle essentiel pour moi, par leur attention, leur transmission de savoirs, l'amour des matières qu'ils enseignaient. Voilà très modestement quelques éléments de ce qu'est Omero.

2. Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a t-elle amené à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?
Oui, très franchement j'ai vécu quelques expériences déterminantes dans ma vie, qui ont sensiblement modifié ma façon de voir le monde et tout le discours et le comportement qui en découlent, si je puis dire. Et cela c'est produit en deux temps et dans deux directions opposées ; tout d'abord, après ma conversion à l'islam, j'ai rapidement été aspiré dans la sphère islamiste française. J'ai été socialisé dans un univers en rupture partielle avec mon environnement ; construire une barrière psychique, parfois physique avec un monde considéré comme finalement pas très pur me permettait, en apparence, de préserver ma religiosité. Je diffusais moi-même un discours très militant, consistant à prôner une religiosité musulmane très centrée sur les dogmes, l'apparence extérieure, une pratique rigoriste, alors que j'avais à peine une vingtaine d'années. Parallèlement, je prenais mes distances vis-à-vis de ma famille, de mes amis non musulmans, et finalement mon cercle relationnel s’appauvrissait. Au fur et à mesure que je progressais dans mes études de sociologie, je constatais cependant le décalage grandissant entre les discours que je prônais et la réalité de la société et de la plupart des gens autour de moi.
Cela m'amène à la deuxième expérience déterminante que j'ai vécue, grâce à des amis humanistes qui m'ont ouvert l'esprit sur une autre façon d'envisager la relation à l'autre et à la différence. C'est assez fantastique puisque j'ai connu une bonne partie de ces personnes dans des rencontres associatives auxquelles j'assistais en tant que musulman. Je voyais des personnes qui défendaient une approche inclusive de l'islam dans la société française, au nom de valeurs fortes de fraternité, de solidarité, d'humanisme et d'une laïcité inclusive, alors que moi-même je rangeais ces personnes dans la case des damnés qui seront voués aux gémonies dans l'au-delà et vis-à-vis desquels il fallait se méfier ici-bas !
C'est au cours de multiples discussions que j'ai connu des gens de tradition chrétienne, pas forcément très pratiquants d'ailleurs, des francs-maçons prônant une ouverture sur l'autre, détachée de tout dogmatisme, même laïque, des agnostiques et des athées qui se proposaient des clefs de lecture sur la façon de faire société. Cela a complètement chamboulé mes certitudes et ma vision du monde très binaire.
C'est au début de la trentaine, vers 2003, que j'ai commencé à m'ouvrir vers des auteurs comme Paul Ricoeur, à faire des recherches sur ce qu'était l'humanisme, et à me rapprocher de certains amis non musulmans pour échanger avec eux plus profondément.

maxresdefault.jpg__ (Visuel pris lors d'une conférence à la CIV, par Dr Omero Marongiu-Perria, departement jeunesse la bonne attitude 07 2014)

3. Quelle est votre vision du monde actuel ?
Ma vision du monde peut être résumée par la formule suivante : « le monde est ce que les hommes en font ». Personnellement, je suis obnubilé, depuis plusieurs années, par la réflexion sur l'articulation entre unité et diversité. Je réfléchis en tant que croyant, certes, mais sans me limiter aux « clôtures dogmatiques », pour reprendre l'expression de mon ami Ghaleb Bencheikh, définies par les théologiens et les institutions religieuses. Je pars ainsi du principe que tous les êtres humains sont égaux dans leur humanité, au-delà de toute autre considération idéologique ou religieuse ; cette unité est le point de départ de la possibilité de communiquer, de partager des espaces, d'accéder de manière équitable aux ressources que le monde nous offre, entre humains mais également avec les autres éléments créés, faune et flore confondus. Cette unité est articulé, dès le départ là aussi, à la diversité des individus qui composent le monde.
Nous sommes à la fois Un, dans ce qui fait notre humanité, et différents dans ce qui fait la particularité de chacun d'entre-nous : dans sa couleur de peau, dan sa langue, dans sa culture, dans sa classe sociale, dans sa conviction, etc. Cette articulation, de mon point de vue, est une volonté divine, et je m'appuie en cela sur quelques passages coraniques qui établissent de manière claire et précise la volonté de Dieu d'établir une diversité de communautés humaines, afin qu'ils soient épris du désir de connaissance mutuelle. Cette diversité objective des hommes me conduit à réfléchir profondément sur la notion de justice sociale et d'équité dans le partage des ressources de la planète, c'est d'ailleurs pour cela que j'essaie de développer, très modestement, des projets mise en capacité des communautés rurales au Maroc, pays d'origine de mon épouse.
Lorsque je lis l'article de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui stipule que « Les Hommes naissent libres et égaux en droit », je me dis que les révolutionnaires savaient parfaitement que les individus naissent avec des disparités dès le départ de leur existence. Aussi, le but de l’État et de ses institutions est-il d’œuvrer à faire en sorte, a minima, que ces inégalités de départ ne s'accentuent pas au fil du temps et, a maxima, de les résorber purement et simplement. Voilà un vaste programme !
D'un autre côté, je ne peux penser que des institutions religieuses puissent considérer que seul un monde où elles seraient en hégémonie pourrait connaître l'harmonie. Cette approche, selon moi, est une perversion pure et simple des messages prophétiques dans la mesure où, au moins du point de vue coranique, les Prophètes ont apporté une éthique du témoignage et non pas une doctrine de l’État totalitaire consistant à éradiquer ou à mettre sous tutelle les croyances différentes des populations. Comme vous le constatez, ma réflexion trouve un point d'aboutissement dans l'idée d'une cité plurielle et pluri-convictionnelle, dans laquelle la justice sociale est au centre et dont l'homme, dans le sens générique du terme, est l'acteur principal. Seule une société « laïque » et inclusive peut réaliser cela.

4. Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attaché ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?
Faire société n'est pas simple ; il est nécessaire de trouver un équilibre entre le respect des valeurs de chacun et la promotion d'un socle de valeurs fondamentales partagées et permettant d'organiser la vie sociale. Partant de là, je suis personnellement très attaché, au plan individuel, à la fois à la liberté de tout-un-chacun de pouvoir choisir son mode de vie, de vivre en fonction de ses convictions, lesquelles ne se résument d'ailleurs pas forcément à des croyances religieuses.
Parallèlement, je suis très attaché à l'éthique de responsabilité ; c'est une notion qui me conduit à me penser constamment dans un ternaire composé de moi, de celui-ci ou ceux avec lesquels je suis en interaction directe, mais aussi du troisième éléments qui est représenté par l'institution vertueuse qui encadre la relation. J'aime à donner l'exemple du papier que je ne me permets pas de jeter par terre alors que je suis dans la rue ; le garder jusqu'à le déposer dans l'endroit approprié à l'accueil des déchets signifie que j'ai conscience de l'impact que mon geste aura sur autrui, celui que je ne connais, et sur l'environnement de façon générale. Cette éducation, je l'ai reçue de mes parents, simplement, avec leurs mots, et j'ai essayé de la transmettre à mes enfants, avec succès j'espère ! C'est d'ailleurs là où je perçois la jonction entre la diversité des valeurs individuelles et la nécessité de promouvoir un socle de valeurs partagées, ce que devrait normalement garantir l’État, à travers sa politique et ses institutions. Nous sommes malheureusement loin de cet idéal de société – si tant est que cet idéal puisse s'incarner un jour – du fait d'une crise de sens et d'utopie collective, sur fond d'une logique de prédation de la nature, des richesses et d'assujettissement des plus faibles de par le monde.
Mais je ne perds pas espoir dans la capacité des individus à faire société. De toute façon, je n'attends pas grand-chose d'autrui en terme de changement, car je considère que le changement, c'est avant-tout le changement qu'on opère au fond de soi-même ; à deux reprises, le Coran indique le fait que Dieu ne modifie pas la situation d'une société – pour tendre vers le beau et le bon – avant que les individus qui la composent ne changent leur for intérieur. Ces passages coraniques m'ont accompagné depuis très longtemps, ils ont confirmé et conforté en moi des éléments de mon éducation, et je retrouve le lien avec la dimension universelle de la vie, du rapport au monde, à partir de mon ancrage culturel et religieux. Quelque part, j'essaie de pratiquer la « conversion du regard » sur le monde, sur le divin et sur moi-même de façon continuelle, et j'invite chacun à la pratiquer en conscience, au cours de mes conférences un peu partout en France. De manière pratique, c'est aussi un mode de vie qui se transforme ; depuis plusieurs années, avec mon épouse, nous avons décidé d'être plus exigeants sur notre mode de consommation. Cela commence par l'usage de l'eau jusqu'à un mode d'alimentation qui tend vers le « végétarisme consenti », en passant par le fait de privilégier les circuits courts, dans un contexte de remise en cause de l'industrialisation de la production alimentaire.
Nous n'attendons rien des autres et nous ne leur imposons rien, nous partageons simplement une expérience de vie, avec tous types d'amis et de personnes qui sont en pleine interrogation sur de possibles façon de faire société de façon plus harmonieuse et moins prédatrice.

5. À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?
J'aimerais tant refléter dans mon attitude et dans mon comportement, au quotidien, les idées auxquelles j'aspire ! Non pas pour devenir un modèle ou un énième gourou, mais simplement pour vivre en pleine conscience et en harmonie avec mon environnement, pour vivre la paix intérieure ou, si j'ose le terme, le bonheur…
Je pense que c'est le premier et principal élément que l'on peut et que l'on devrait transmettre, car c'est cette sensation de bonheur, de paix et de joie qui est finalement l'aspiration de l'homme. Parallèlement, je voudrais tant que les gens dépassent leurs ancrages particuliers pour s'ouvrir à l'universel ; ayant l'opportunité de faire des formations et des conférences un peu partout en France, je rencontre trop de personnes convaincues de l'impossibilité de nouer une amitié avec une personne affichant des convictions différentes, qu'elles soient religieuses, politiques ou philosophiques. Je les invite alors à aller au-delà des apparences, à prendre le temps de découvrir, dans l'altérité, le socle de valeurs communes qui peut aider à construire une sociabilité et des solidarités, à l'échelle locale. Peut-être que quelques unes de ces graines semées germeront, en tout cas je suis très confiant car je rencontre énormément de semeurs de graines, comme moi, un peu partout !

6. À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : “Nous sommes tous des compagnons de voyage ” ?
Cette déclaration fait raisonner dans mon esprit ces deux passages du Chant du compagnon, très connu : « Formons de nos mains qui s'enlacent une chaîne d'amour » et « Car l'idéal qui nous rassemble vivra dans l'avenir ».
Je prends cette formule « Nous sommes tous des compagnons de voyage » dans son sens le plus général et le plus universel, à savoir que tous les hommes partagent à la fois la même essence, dans leur humanité, et ils ont pris place sur la même terre pour œuvrer à la pérenniser, en tous cas théoriquement. Au delà, les êtres humains sont les compagnons de voyage des autres éléments créés : la faune, la flore, l'univers pris dans son sens général.
Cela devrait nous inciter à réfléchir à l'éthique de responsabilité que je mentionnais précédemment, ainsi qu'aux conséquences de la logique de prédation des richesses qui s'est installé comme une « normalité » à tous les échelons de notre vie sociale et dans notre rapport au monde.

image_preview.jpg==> Extrait d’une conférence, le vendredi 20 février dernier à Bondy pour écouter Omero Marongiu-Perria sur la question du fondamentalisme musulman dans nos banlieues.

Pour Omero, il est indispensable d’exercer son esprit critique dans le domaine du religieux.
Ces jeunes ont besoin d’être aidés pour mieux « négocier » leur identité religieuse avec le monde environnant.
Si Dieu nous a donné une intelligence, c’est pour nous en servir, nous avons donc à « faire marcher notre cerveau », sinon on s’enferme dans des sourates du Coran sans essayer de comprendre à quel contexte elles étaient reliées à l’époque du prophète Mohamed.
Nous avons accueilli avec grand intérêt cette autocritique constructive, qui nous a appelés une fois de plus à ne pas faire d’amalgame entre l’essence de la religion musulmane et ses dérives sectaires. D’ailleurs, Omero nous a dit à quel point les évènements dramatiques de janvier avaient ébranlé les communautés musulmanes, qu’ils provoquaient de nombreux débats dans les mosquées, et que les musulmans qui travaillent à un islam mieux intégré dans la société moderne étaient de plus en plus nombreux et influents.
Cette soirée avec Omero : une bouffée d’oxygène, l’impression d’une vraie rencontre … l’espérance que les obscurantismes peuvent être surmontés. Oui, ce qui prime, c’est notre identité commune, le fait que nous sommes d’abord des humains. Et qu’il est possible de mesurer nos identités religieuses et nos pratiques à ce critère : est-ce pour nous, musulmans ou chrétiens, un plus d’humanité ? Et de continuer à nous battre, comme le fait Omero, pour défendre nos « valeurs universelles ».

Extrait de texte rédigé par Omero Marongiu-Perria, le 13 janvier 2016 : L’unité dans la diversité, le parti-pris de l’optimisme :

Analyser nos peurs, changer de regard
Je pratique le dialogue interreligieux depuis 1997, et depuis une dizaine d’années j’inclus l’interreligieux dans le dialogue tout court ! Par mon activité professionnelle de formateur et d’expert, entre autres, dans le domaine de l’interculturalité et des questions liées à l’islam, j’insiste beaucoup sur le changement de regard et sur l’analyse de nos peurs. Qu’est-ce qui nous dérange finalement chez l’autre, quel qu’il soit ?
Mon message s’adresse, tout simplement, à tout un chacun, afin que nous fassions tous l’effort de dépasser nos préjugés. L’islam n’est pas une religion intrinsèquement violente, seuls des ignorants peuvent tenir ce discours. Cependant, certains musulmans conservent aussi dans leur tête beaucoup d’images péjoratives sur la société et sur le « Français » : à chacun de faire un travail sur lui.