Malheureusement, Michel Valentin est parti avant que je ne puisse le rencontrer et l'interviewer. Sa compagne, Isabelle Peloux, a accepté de témoigner à sa place. Je tiens à lui rendre hommage en publiant aujourd'hui cette interview.

La rencontre d’un paysan philosophe et d’un entrepreneur performant.

"Les Amanins" sont nés de la rencontre de Pierre Rabhi et de Michel Valentin. Deux personnalités que rien ne supposait rassembler : un paysan philosophe et un entrepreneur autodidacte. C'est de leur complémentarité et de l'union de leurs compétences que la graine des Amanins a germé.

Rapidement Isabelle Peloux, compagne de Michel Valentin, s’associe au projet avec son expérience de l’écologie relationnelle. Tous les trois se sont centrés autour d’une association et d’un pari : celui de réconcilier écologie et économie. Ils ont abouti à la double question fondamentale : « Quelle planète laisserons-nous à nos enfants et quels enfants laisserons-nous à la planète ? »

Isabelle Peloux, Dame Sagesse vous a invitée à sa table afin de lui présenter votre compagnon, Michel Valentin, décédé accidentellement le 13 mai 2012 et fondateur des Amanins.

Comment se présenterait-il ?

Michel Valentin était un « entrepreneur paysan ». Né d’un père commerçant et d’une mère paysanne, il fut confronté au choix difficile entre le monde de l’agriculture, celui de la nature, et le monde du commerce, des affaires et de l’argent. Il se résolut à poursuivre deux valeurs familiales importantes : le travail et le gain. Il choisit l’entreprenariat, ne ménagea pas sa peine et son temps, tout en conservant… son côté paysan, sa ferme et la terre qu’il continuait de cultiver pendant ses temps libres !

Chef d’entreprise performant et à la tête d’une centaine de salariés, Michel s’éloigna peu à peu des autres et… se retrouva seul et riche ! La séparation d’avec son ex-épouse accentua son sentiment de solitude et remit en cause le fondement même de son activité d’entrepreneur : la richesse, qui pensait-il, le protègerait !… Les deux composantes de son héritage familial, d’un côté la terre, de l’autre le commerce, ne s’harmonisaient plus. Le désir de redonner du sens à son action se fit ressentir. En 2003, la rencontre avec un homme – Pierre Rabhi, agronome et philosophe - qui avait passé sa vie à respecter la nature et écrit dans un article « Si j’avais des millions, je saurais quoi en faire », fut déterminante. Et Michel lui répondit : « Je possède des millions, mais je ne sais pas comment les utiliser correctement. » Après de longs échanges, ils se retrouvèrent dans la dimension paysanne et Michel put enfin réconcilier ses deux parties.

Et vous-même, Isabelle, comment vous présenteriez-vous ?

J’aime agir et œuvrer sur du concret, je m’épanouis dans le relationnel et ma vie est tournée vers les autres. En 2002, elle a croisé celle de Michel et nous avons réuni nos complémentarités et accepter la demande de Pierre, à savoir créer un lieu répondant à deux questions fondamentales : « Quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? Quels enfants laisserons-nous à la planète ? ». C’est ainsi qu’est né le projet « Les Amanins ». Michel mit ses compétences de chef d’entreprise au service de l’humain et d’un projet respectueux de la nature et de la planète, Pierre offrit son expérience de l’agro-écologie et sa faculté à réunir les humains. Quant à moi, je mis à disposition mes capacités relationnelle et éducatives au service d’une pédagogie coopérative.

Michel a-t-il vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé son parcours de vie ?

Il pensait que la richesse le protègerait des ennuis, mais la vie lui démontra le contraire, tel son divorce vécu comme un choc. Il n’hésita pas à se remettre en question, à réfléchir sur les valeurs de l’argent et du bonheur. Pierre Rabhi remit du sens dans sa vie et replaça l’argent à sa place, celle de servir des causes plus justes, respecter la Terre et les Hommes. Michel embrassa alors la cause écologique et y consacra fortune, compétences et énergie.

Quelle était sa vision du monde actuel ?

Michel regrettait le manque d’engagement de beaucoup de ses contemporains. Il était un homme d’action et œuvrait sans cesse, tel le colibri. Il militait particulièrement contre la propriété privée, car « La Terre appartient à tout le monde » ! Il était affecté de voir tant de bonnes terres recouvertes de béton, de goudron, d’où sa volonté de racheter des terres, en relation avec Éric Julien et Terre de liens.
Les débuts du projet Les Amanins furent difficiles car, en proposant de nouvelles solutions, nous dérangions et n’étions pas vraiment compris. Nous devions constamment l’expliquer et surtout, accepter de ne pas être suivis. Michel a financé ce lieu avec ses économies et a tout offert à l’association. Les impôts le convoquaient régulièrement car, malgré tous les papiers fournis, ils ne comprenaient pas ce don. Le monde n’était pas encore prêt.
Aujourd’hui, Michel n’est plus, mais ses idées, nos idées, commencent à faire leur chemin. Nous montrons qu’il existe, non pas LA solution, mais d’autres possibles, et nous espérons inspirer de nouveaux projets. Michel avait été bouleversé par le livre de Nicolas Hulot, Le syndrome du Titanic , et particulièrement par la dernière phrase : « Je ne veux pas que mes enfants me disent : tu savais et tu n’as rien fait ! ».

Quelles sont les valeurs auxquelles Michel et vous êtes attachés ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?

Le respect de l’environnement et celui de l’humain ont été notre pierre d’angle pour la construction du site Les Amanins. C’est un lieu où s’incarne l’utopie d’une entreprise humaine et écologique, prouvant qu’il est possible d’entreprendre sans prendre, d’entreprendre autrement. Nous avons construit le plus possible avec les matériaux du lieu, non par souci de l’autarcie car nous devons rester ouverts, mais afin de réinventer des filières courtes (récupération de la paille, autonomie pour les eaux – phyto épuration – et en énergie…). Cependant, nous sommes restés reliés au réseau afin de remettre en circuit ce que nous produisons en plus, et éviter du gâchis. Nous sommes ainsi autonomes tout en étant reliés aux autres.

Le montage de l’association a été réalisé d’après les valeurs de solidarité. Si l’association est propriétaire de la structure - une SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production) -, elle loue le lieu permettant le financement de l’école afin que celle-ci puisse rester ouverte au plus grand nombre, et elle gère toutes les activités. Cette structure permet de mettre en valeur le travail humain des onze coopérateurs salariés, tous égaux, puisqu’ils gagnent un salaire identique, quelle que soit leur qualification ou compétence, et qu’un homme égale une voix, quelle que soit sa participation au capital ! Tout a été conçu pour permettre aux personnes y travaillant, de vivre décemment du travail produit et les bénéfices (quand ils y existeront) seront versés aux différents organismes de Pierre Rabhi.

À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?

L’éducation, c’est la société de demain. Nous n’avons pas le droit de laisser nos enfants sans “outils” car, ayant abîmé ce monde, la moindre des choses est de les préparer à s’y affronter. Et dès à présent, réduisons notre consommation et nos déchets, en ayant toujours conscience de notre impact sur l’ensemble. Nous devons réfléchir sur une utilisation différente de l’argent et nous détacher de la notion de propriété privée sur les terres.
Michel était très en colère contre le monde de la publicité et de la consommation, d’où son retour à une vie simple. Aux Amanins, la tâche est aussi de reconnecter les gens avec le vivant de la nature.

À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?

La joie d’être en lien avec les autres, de faire œuvre commune, animaient Michel tout au long de ces dernières années. Il est important de faire tomber les hiérarchies, tout en reconnaissant les compétences organisationnelles ou celles de dirigeants dont on a besoin. Être entreprenant n’est pas donné à tous et la complémentarité est intéressante. Nous sommes tous en chemin et pouvons évoluer.
Je crois en l’éducabilité de l’être humain. La transformation et l’envie de changement sont toujours possibles, le désir du mieux, d’aller vers les autres. C’est la quête de nombreuses personnes aujourd’hui, une quête qui ne s’achète pas, de même que la joie !



Impromptu

Dites-nous, Isabelle Peloux, …

Quel est votre mot préféré ? Tendresse.

Quelle est votre fleur préférée ? Myosotis.

Quelle est votre musique préférée ? « Lambarena », Bach in Africa.

Quel est le lieu qui vous inspire ? Belle-Île en Mer.

Quel est le livre qui vous a le plus marqué ? « La soupe aux herbes sauvages », d’Émilie Carles.

Y a-t-il une personne qui vous a particulièrement inspirée ? Françoise Dolto.

Quel est votre héros ou votre héroïne ? La Belle-au-bois dormant.

Quelle personne désireriez-vous rencontrer ? Des personnes surprenantes, aimant la vie et joyeuses de vivre.

Qui aimeriez-vous être ? Une personne qui sait se réjouir du bonheur des autres et voir la joie dans les événements les plus simples de la vie.

Quel est votre rêve de bonheur ? Plein de petits bonheurs, serrés les uns contre les autres.

Si vous aviez une devise, quelle serait-elle ? Avant d’aimer les autres, aimez-vous vous-même ; vous êtes la personne la plus difficile à aimer.

Si vous rencontriez Dieu, que lui diriez-vous ou que désireriez-vous qu’Il vous dise ? - « Comment nous aider à être plus en paix ? »

Le domaine des Amanins, niché sur 55 hectares au cœur des collines drômoises, comprend une ferme agrobiologique, une école primaire et un lieu d’accueil. Eco-construit, autonome sur le plan alimentaire et énergétique, il propose des séjours de vacances différentes, où l’on peut s’initier à l’agriculture et à la construction écologique, à la fabrication du pain ou du fromage… ou à la coopération. Les Amanins, 26400 La Roche sur Grâne, tél. : 04 75 43 75 05, site internet : www.lesamanins.com

Dernière nouvelle des Amanins ( Newsletter reçu ce jour, 7 mai 2014 ) :

L'ÉCOLOGIE RELATIONNELLE AUX AMANINS

L'équipe des Amanins traverse une période riche dans son histoire. Deux ans après le décès de Michel Valentin, elle trouve sa pleine maturité et son équilibre dans le fonctionnement et la gestion du lieu. Grâce une forte énergie du "faire", une motivation ancrée dans des valeurs communes et une volonté de construire ensemble une gouvernance juste et efficace, l'équipe des Amanins continue de vous accueillir, de vous transmettre et de vous partager ses expériences.
En cette fin de printemps la programmation des Amanins est le reflet de notre réalité quotidienne, celui de l'apprentissage du faire ensemble.

Nous vous souhaitons une très belle fin de semaine, et un beau début de mois de mai.

Fraternellement, toute l'équipe des Amanins 1xx8t51ere.jpg.gif.jpeg