images-3.jpgArabe israélien, artisan inlassable du dialogue entre juifs, chrétiens et musulmans, le P. Émile Shoufani, curé melkite de Nazareth (Israël) reçoit, lundi 17 novembre à Paris, le prix 2014 de l’Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF).

Père Émile Shoufani a témoigné dans mon livre L'avenir est en nous (Dangles). Il fait partie des 43 aventuriers de l'existence. En ce lundi 17 novembre, voici son profond témoignage de paix et d'espoir, car… la majorité silencieuse des palestiniens ne veut pas la guerre.

Père Émile Shoufani, Dame Sagesse vous a invité à sa table et désirerait mieux vous connaître.

• Comment vous présenteriez-vous ?

Je suis quelqu’un qui est constamment dans la joie, une joie qui n’est pas un optimisme pour un changement, mais une joie émanant de ma rencontre avec le Christ et qui me permet de supporter difficultés, persécutions, incompréhensions... La joie est mon héritage, elle m’a préservé de la tristesse ou de la révolte contre les humains ou même contre Dieu.
Après mes études en France, j’ai choisi de revenir en Israël, ma terre, même si la France, pays de paix et de calme, me proposait d’y servir comme prêtre. Dès que je posais les pieds sur le sol israélien, je me disais : « Voici mon lieu d’incarnation. C’est un défi d’une richesse extraordinaire sur le plan humain, qui m’oblige à sortir de moi-même, à rester confiant et à vivre avec “l’autre”. » Après quarante-deux ans de prêtrise, cette réalité me comble toujours intérieurement !

• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amené à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?

Lors de mes études en France, au séminaire, où j’étudiais la philosophie et la théologie, j’ai vécu une expérience douloureuse, celle de la crise de la foi. La lecture des existentialistes m’avait profondément troublé. Mais sur les conseils d’un prêtre, les lectures de Dostoïevski et du père Henri de Lubac (Le Drame de l’humanisme athée) m’ont permis de sortir de cette fournaise, de me remettre en chemin avec plus de force et de reconnaissance pour le message christique. Néanmoins, grâce aux lectures de Jean-Paul Sartre, j’ai pu conserver un sens critique, mais qui se formule à l’intérieur de mon union avec un Christ joyeux et confiant.
En tant que Palestinien, j’ai connu le drame de l’expulsion en 1948 avec ma famille, et celui de la perte de mon grand-père et de mon oncle tués par l’armée israélienne. J’ai vécu ce drame à travers l’esprit de pardon extraordinaire de ma grand-mère. C’était une femme très forte, guidée par sa foi et par l’idée de ne pas introduire la haine au sein de la famille. Contrairement aux idées reçues, le pardon n’est pas un service qu’on rend à l’autre ; il permet de ne pas vivre dans la vengeance, mais en paix avec soi-même. C’est dans cet esprit que ma grand-mère m’a élevé. Quand je suis arrivé en France à dix-sept ans pour étudier au séminaire, j’ai découvert la rencontre entre l’Orient et l’Occident, et j’avais l’impression de ressentir une grande richesse à laquelle j’appartenais. Cela m’a appris à mieux connaître mes propres racines orientales.
La découverte de la Shoah, notamment la lecture de Treblinka : la révolte d’un camp d’extermination de Jean-François Steiner, a été une révélation. Cette vision de l’horreur, entraînant ma réconciliation avec le monde juif, m’amena à cette réalité et à pouvoir dire : « Je dois me libérer de toutes formes d’esprit de haine, de vengeance où le respect de l’homme n’existe pas... » Depuis cette époque, j’ai toujours pris la défense des pauvres, des enfants, des vieillards, et de toutes les victimes.
Une autre grande expérience fut celle de la direction, pendant trente- six ans, d’une école mixte où se côtoyaient des enfants musulmans et chrétiens, sans oublier des rencontres régulières avec des enfants juifs. Les élèves participaient même à une chorale commune. Je désirais des rencontres humaines, sans politique, et simplement pour apprendre à se connaître. Seul le dialogue permettra la réconciliation.

• Quelle est votre vision du monde actuel ?

Je suis dans une espérance extraordinaire. J’ai confiance dans la nature que j’aime, je suis fasciné par le cosmos qui est encore, paraît-il, toujours en expansion. N’est-ce pas merveilleux ? Et surtout, je n’accepte pas les discours des prophètes de malheur ! Certes, il existe des injustices, mais elles sont autant d’invitations à la réflexion. Notre travail est de construire un monde qui devrait être une Transfiguration, afin que toutes ces réalités si pénibles passent dans l’humanité du Christ.
Dans l’école, j’ai créé un observatoire des étoiles où travaillaient ensemble des élèves juifs et arabes. C’était extraordinaire de les voir regarder ensemble le cosmos, au-delà des conflits existant sur un territoire de 28 000 km2 qui les séparaient et en faisaient des victimes innocentes ! Je vis et j’accepte la contradiction de mon pays afin de créer l’homme universel, en témoignant de l’aspect universaliste du message divin. La cohabitation de 1 300 élèves dans l’école, dont 40 % sont musulmans, démontre que le contact quotidien et la vie commune tissent le lien social et culturel. Quand l’autre existe physiquement avec soi, on est obligé de penser comment vivre avec lui. Tous les préjugés humains tombent quand on a vécu et mangé ensemble!
Devant la télévision, il m’arrive de pleurer sur ces victimes innocentes, qu’elles soient juives ou palestiniennes, peu importe ; je pleure avec les mères et je ne peux pas faire autrement. Les larmes nous permettent de pénétrer dans notre cœur de chair et non de force.

• Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attaché ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?

Si les grandes valeurs sont l’amour, la justice, la paix et la réconciliation, à mes yeux, elles sont dominées par le pardon. Un mot difficile, mais qui nous fait verser des larmes. Cependant, celui qui pardonne doit déjà s’être pacifié avec lui-même. Le pardon est la parole essentielle entre les humains, et c’est la volonté du Christ sur la croix : « Pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Je n’oublierai jamais les paroles de ma grand-mère suite à l’exécution de son mari et de l’un de ses fils, fusillés en 1948, au moment où l’armée israélienne était entrée dans leur village : « Je suis pour les vivants, pas pour les morts. Que Dieu leur pardonne. Je ne veux pas de haine ni de vengeance dans ma maison. Pardonne et n’oublie pas. »
En effet, le pardon est beaucoup plus qu’un acte religieux, c’est un lieu de libération et de purification qui demande que la mémoire soit visitée.
Ce choix du pardon, du dialogue, du travail pour la paix, m’habite au quotidien, à l’intérieur de l’État d’Israël, où se trouve Nazareth dont je suis le curé. Bien sûr, je ne peux oublier mon appartenance au monde arabe, dont la langue, la culture, l’histoire et l’avenir me concernent, mais c’est en chrétien que je dois m’y incarner, en conjuguant quatre éléments : arabe, palestinien, chrétien et citoyen israélien !
Au cœur du conflit qui oppose depuis plus d’un demi-siècle Israéliens et Palestiniens, mon désir est d’instaurer un dialogue entre chrétiens, musulmans et juifs afin de surmonter les préjugés et de dépasser la peur de l’autre. Le peuple de la Bible n’est pas mort, il est toujours vivant, il a le droit de se sanctifier selon la Promesse. Il faut travailler à la réconciliation entre les chrétiens et les juifs en abandonnant tout projet de conversion de ces derniers.
En 2003, j’avais organisé un voyage commun dans le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, car je ressentais l’urgence de comprendre ces lieux de mémoire, et en rencontrant la souffrance juive, d’essayer de trouver une réalité qui nous rapprochait. Ce fut une démarche de gratuité, et non une demande de pardon, car les musulmans « ne sont pas responsables de la Shoah ».
Si le monde ne met pas à l’intérieur de lui-même cette vocation du pardon, nous allons tous mourir dans un palais de glace.

• À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?

Je veux transmettre la joie d’être, ne pas perdre cette flamme qui jaillit de ce que je suis, la plus belle créature matérielle et spirituelle faite par Dieu, une joie qui dépasse toute situation, une joie vécue par Dieu lui-même. Je veux transmettre cette joie d’être créé par Celui qui est Amour, qui influence toute ma vie, mon activité, mes pensées, mes réalisations. Je veux transmettre la valeur de l’âme qui est infinie, car elle ne peut être réduite, tuée, injustement traitée. C’est cette réalité qui doit pacifier le monde. Mais cette paix dépend de nous.

• À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?

Nous sommes en marche, ensemble, dans une recherche constante. Nous ne pouvons pas arriver seuls au salut. Nous ne pouvons pas dire : « Seigneur, sauve-moi », mais « Seigneur, sauve-nous ».
La première recherche est celle du visage de l’autre, qui ouvre pour moi le chemin. C’est ce visage qui me dit qui je suis, que je suis en unité avec lui, que je suis un avec lui, et qui me garde de tomber dans l’égoïsme, le pouvoir, l’exploitation, tout ce qui peut être aujourd’hui une tentation. Le visage de l’autre me révèle à moi-même.
L’autre n’est pas l’enfer, mais celui qui permet la réalisation de moi-même par cette communion avec lui.

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