14-752x1024.jpgHassan Massoudy : Un parcours artistique à la confluence de deux cultures.

Depuis quarante ans, Hassan Massoudy, calligraphe, a fait connaître dans son pays d’accueil, la France, l’art de la lettre arabe, où se marient les cultures d’Orient et d’Occident. Son apprentissage de la calligraphie traditionnelle et sa confrontation avec l’art contemporain lui ont permis de tracer un nouveau chemin à l’art de la calligraphie arabe. Il expose ses calligraphies régulièrement et a déjà publié une vingtaine de livres dont Si loin de l’Euphrate (Albin Michel, 2004) ; Désir d’envol : une vie en calligraphie (Albin Michel, 2008) ; Calligraphie arabe vivante, (Flammarion, 2010).

Il y a deux ans, Hassan Massoudy avait accepté de témoigner dans mon livre L'avenir est en nous (Dangles - 2014). Voici son interview.

Hassan Massoudy, Dame Sagesse vous a invité à sa table et désirerait mieux vous connaître.

• Comment vous présenteriez-vous ?
Je suis né en 1944, à Najef, au sud de l’Irak, une ville sur la hauteur d’un plateau en plein désert. Il y fait très chaud pendant une grande partie de l’année et l’eau manque terriblement ; partout du sable ocre et des maisons en briques.
À l’âge de dix ans, j’ai pris conscience de mon intérêt pour la calligraphie et le dessin, et je rêvais d’être artiste peintre ! En 1961, à la fin de mes études au collège, je pars pour Bagdad, la capitale de l’Irak, afin de poursuivre des études aux Beaux-Arts. Grande déception, mon dossier est refusé par manque de certificat de nationalité. Je me trouve comme un étranger dans mon pays ! Les raisons de ce refus dépendent de la situation politique de cette époque, à savoir écarter les gens du Sud des études universitaires. J’ai ressenti cela comme une blessure profonde et une grande injustice.
Et comme si cela ne suffisait pas, à mon retour dans ma ville natale, je suis arrêté par la police politique. On m’accusait de calligraphier des banderoles d’une manifestation interdite pour la paix au Kurdistan, alors que la manifestation s’était déroulée en mon absence. Ce procès impliquant quatre-vingts personnes dura huit ans. Le tribunal était militaire et les juges étaient des militaires haut gradés.
Pendant toutes ces années, j’ai vécu et travaillé à Bagdad comme apprenti calligraphe, en pratiquant tous les styles. À cette époque, les calligraphes faisaient des enseignes et de la publicité alors que je rêvais toujours d’être artiste peintre ! En 1969, grâce à l’aide d’un ami peintre irakien Medhi Moutashar, je pus venir à Paris et m’inscrire à l’École des beaux-arts. Je subvenais à mes besoins en réalisant maquettes et calligraphies pour une revue algérienne. Et plus tard, j’ai participé à de nombreuses activités artistiques variées.

• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amené à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?
J’ai connu en France une expérience calligraphique inattendue, voire impossible, faire de la calligraphie en public. Nous étions dans les années de l’après-68, l’art que j’étais venu chercher n’existait plus, et tous les étudiants étaient en quête de créations nouvelles.
En 1972, un ami comédien, Guy Jacquet, de la compagnie Jean-Louis Barrault, me proposa de participer à un spectacle se déroulant à la maison de la culture de Châlons-sur-Saône, une rencontre entre poésie, chants, musique et calligraphie. Je ne voyais pas comment faire de la calligraphie en public, ne connaissant pas un seul calligraphe arabe ayant cette pratique. En effet, la calligraphie arabe traditionnelle se fait toujours à l’atelier, dans l’intimité et d’une façon solitaire. Or, dans cette expérience, il fallait accélérer le temps. Il en a résulté la naissance d’une autre calligraphie de nature plus moderne et inédite.
J’ai accepté avec beaucoup de craintes de vivre cette aventure artistique nouvelle et inédite dans le monde de la calligraphie. Comment aborder le public ? Comment suivre le comédien ?
Mon ami me rassura en disant que le public s’attachait à la personne la plus fragile sur scène. Dans ce spectacle, Guy Jacquet récitait des poèmes arabes, passait des enregistrements de chants qu’il commentait. Je calligraphiais des fragments de ces poèmes et l’ambiance de la salle inspirait les sentiments de ma gestuelle. Les calligraphies étaient réalisées sur des feuilles transparentes posées sur un rétroprojecteur et envoyées immédiatement sur un grand écran face au public. Notre spectacle appelé Arabesque fut très bien accueilli et nous l’avons produit jusqu’en 1985 dans divers lieux.
Cette démarche de recherche et d’improvisation a totalement changé ma vision et m’a permis de regarder la calligraphie non seulement comme un art, mais comme un moyen d’expression, car le sens poétique imprègne alors les gestes dans l’espace. J’étais venu à Paris pour « faire comme tous les peintres » et je me retrouvais dans ce spectacle en recherche permanente d’adaptation de mon art à une expérience vivante. L’important était de continuer à me poser ces questions: « Où vais-je ? », « D’où suis-je venu ? »
Cette rencontre avec le public m’a permis de valoriser peu à peu ma culture d’origine et de comprendre qu’elle pouvait être un apport à l’art universel. D’ailleurs, j’ai édité en 1981 un livre hommage aux calligraphes anciens.
Après 1985 et l’arrêt de ce spectacle, j’ai continué à travailler la calligraphie en public de la même manière et avec d’autres artistes. Cette pratique concentrait le temps avec une grande densité et un geste pouvait en remplacer bien d’autres. Pour maintenir l’attention du public, je réalisais en deux minutes des compositions ; cette rapidité faisait appel à l’intuition, à l’expression du corps. L’influence de la salle participait à forger des sensations instinctives.
Bien sûr, cette façon de travailler s’opposait aux codes traditionnels voulant que les calligraphes ne dévoilent pas leurs sentiments à travers leurs gestes, surtout dans la calligraphie arabe ; cela est lié à des codes sociaux complexes, politiques et religieux. Malgré cette cassure avec la tradition, mon intention a toujours été orientée vers l’essentiel des valeurs de la beauté et de la grâce qui se trouvent dans la calligraphie ancienne. Je n’abandonne pas l’essentiel, mais la vitesse a modifié toutes les techniques de formes des lettres. Dans cette pratique, j’ai découvert de nouveaux espaces, de nouvelles lumières et des mesures et des proportions beaucoup plus adaptées à notre époque. Cependant, si je continue à m’inscrire dans l’appartenance de ma famille de la calligraphie arabe, j’éprouve beaucoup d’intérêt pour les calligraphies chinoises, latines et japonaises.

• Quelle est votre vision du monde actuel ?
Le monde actuel avance et recule en même temps. Les progrès techniques extraordinaires permettent à l’être humain d’avoir accès à la connaissance, mais ce même progrès enrichit une minorité qui perturbe l’économie mondiale et crée des crises financières engendrant le chômage et menaçant la paix. Ce progrès est très loin d’une partie des habitants de la terre. Il est comme un corps géant sans tête car, malgré des moyens rapides de communication et de voyage, beaucoup d’êtres humains meurent de faim. Nous devons continuer, et sans relâche, d’œuvrer pour que le progrès devienne une source de plénitude pour l’humanité entière. Tout un chacun peut agir dans son espace de vie.

• Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attaché ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?
Les valeurs auxquelles je suis attaché sont le Bien et le Beau. Je cherche à calligraphier des textes poétiques qui font appel à l’élévation de l’être humain. Dans mon œuvre, je veux installer la beauté afin qu’elle soit vivante. Cela demande beaucoup d’énergie pour suivre mon rêve ! Cette énergie est une quête permanente car elle est comme le feu. Elle doit être alimentée chaque jour.

• À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?
Je désire transmettre ce que m’ont appris les maîtres de l’art, ceux que j’ai rencontrés ou connus par leurs œuvres, des calligraphes de toutes les écritures du monde. Je désire également transmettre ce que m’a appris la nature, c’est-à-dire le rythme des arbres, des fleurs, le dessin géométrique de leurs feuillages, les nuances des couleurs... Les images numériques modernes sont des outils qui ne peuvent remplacer le travail de l’artiste. Chaque moyen artistique possède sa fonction et sa façon de communiquer la nuance de la Beauté.
Je désire transmettre les gestes justes et l’union en rapport avec le souffle humain ; montrer l’importance de la mémoire artistique de l’homme car en beauté, on ne peut pas partir de zéro, il faut connaître les plus belles œuvres laissées par les anciens artistes.
Mais faire de l’art, c’est déjà transmettre, car on s’appuie sur l’héritage de la beauté, même si le regard va toujours vers l’avant.

• À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?
Nous sommes tous des compagnons de voyage car le but de la vie c’est la voie elle-même, une voie infinie. Elle vient de loin, elle continuera après. Les peintres des cavernes d’il y a trente mille ans nous émeuvent toujours. J’ai admiré quelques croquis sur les murs d’un temple égyptien que l’artiste a oublié d’effacer, une sorte de graffiti qui dévoile son âme. Dans une même admiration, j’ai pu contempler les peintures sur les pierres dans le désert, les œuvres du passé, comme dans le Jugement dernier de Michel-Ange, dans le Christ peint par Grünewald à Colmar, La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, Guernica de Picasso, sans oublier les grands calligraphes chinois, japonais et l’élégance de la calligraphie méditerranéenne.
Les expressions artistiques nous accompagnent dans notre voyage et un jour, peut-être, nous serons les compagnons de voyage des arts du futur !

massoudy_portrait.jpgHassan Massoudy expose dans son atelier un samedi par mois, de septembre à mai
Samedis / Saturday 30 mai 2015 - 26 septembre 2015 - 31 octobre 2015 - 28 novembre 2015 - 12 décembre 2015 de 15h à 19h (entrée libre) from 3 pm to 7 pm (free of charge)
18, quai de la Marne - 75019 PARIS



VENISE (Italie)
Participation à l'exposition Frontiers Reimagined organisée par la Tagore Foundation International, dans le cadre de la biennale de Venise - www.frontiersreimagined.org Exposition du 9 mai au 22 novembre 2015 au Museo di Palazzo Grimani, Venise