th-1.jpg En hommage à Michel Cazenave qui nous a quitté le 20 août 2018 : son interview, parue dans mon livre "L'Avenir est en nous" - 2014 - Albin Michel - Michel Cazenave est écrivain, philosophe, poète et un des spécialiste de l’œuvre de Jung.

« … Je continue de cultiver, cet immense respect pour ce qu’on appelle la liberté de l’autre… ».

Michel Cazenave, Dame Sagesse vous a invité à sa table et elle désirerait mieux vous connaître.

Comment vous présenteriez-vous ?

Honnêtement, je n’en sais rien. Mais peut-être pourrais-je dire : « Je suis quelqu’un qui cherche la vérité dans la vie (LA vérité, ou plus modestement : SA vérité ?) ».

Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a t-elle amené à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?

Au départ, je suis déjà né pour remplacer un frère mort, et je l’ai toujours su ; je me suis demandé toute ma jeunesse si j’existais réellement ou si je n’existais pas à sa place. Puis à l’adolescence, traversant une grande crise de mélancolie, j’ai dû à nouveau me confronter à la présence et à la puissance de la mort.
Les mêmes questions se posaient : « Quel est le sens de ma vie ? Pourquoi suis-je là et pour quoi faire ? ». Ce sont vraiment des processus de transformation très profonds dont l’on ne sort pas indemne. En tout cas, vous n’en ressortez pas comme vous y êtes entré. C’est vraiment de l’ordre de l’œuvre au noir de l’alchimiste. Le moi que l’on a construit disparaît complètement et on est confronté aux mystères mêmes de la vie.
Toutes ces expériences ont bien sûr orienté mon existence. Vers la cinquantaine, je pensais avoir résolu beaucoup de questions, mais, lors du décès de mon épouse, je me suis rendu compte que je n’avais fait qu’une partie du chemin. Et les interrogations étaient (elles sont toujours présentes) : « Quel est le sens de tout cela ? Pourquoi je suis venu sur terre ? Quel est le cœur de la réalité ? ».
Bien sûr, j’ai obtenu des réponses, mais je pense qu’elles sont très provisoires. Actuellement, c’est là où j’en suis. Et demain ?... J’ai appris à ne rien considérer comme définitivement assuré. Je suis en chemin vers… Vers quoi, au juste ? Je n’en sais rien. Il y a tout de même une chose dont je suis sûr : c’est que ce chemin, qu’il me plaise ou non, il me faut le parcourir. Cependant, une interrogation demeure : « Quel est le rapport de ma vie à la Vie ? » Là non plus, je n’ai pas de réponse assurée.

Quelle est votre vision du monde actuel ?

Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes, en même temps, à la fin de plusieurs cycles (de culture et de civilisation, un cycle religieux - le christianisme me parait moribond – et un cycle économique). Je me demande même si nous ne sommes pas (heureusement !) à la fin de la prédominance du masculin. Mais sur ce point, malgré toute mon envie d’y croire, je demeure très prudent, car l’histoire a montré que le féminin est souvent réapparu, et qu’il a toujours été très vite expurgé.
Mais les changements de cycles prennent beaucoup de temps. Par exemple, il nous a fallu quatre bons siècles pour passer de l’empire romain au christianisme ! Alors, arrêtons l’illusion du « Tout est pour demain ». Sans vouloir paraître trop « new âge », nous devons aussi considérer que nous arrivons en même temps à la fin d’un cycle astrologique (nous passons de l’ère du Poisson à celle du Verseau). Mais passer d’une ère à une autre nécessite beaucoup d’années...
Mais vers quoi tendons-nous ? Pour l’instant, nous serions plutôt dans la nuit complète ! Mais au regard de l’histoire, il n’y a pas de raison pour que tout se termine aujourd’hui. La vie ne va pas s’arrêter là. D’ailleurs, l’homme n’est peut-être pas la dernière phase de l’évolution. Arrêtons de nous dire que nous sommes la gloire de la création ! Nous n’en sommes peut-être qu’un stade, comme les autres espèces avant nous… Oui – mais alors ?... Avec l’âge, on apprend à dire : « Je ne sais pas ». J’ai beaucoup moins de certitudes que je n’en avais à trente ans ! Les certitudes sont le propre de la jeunesse. Quand je regarde en arrière, je dois bien penser : « Qu’est-ce que je me suis trompé ! » D’erreur en erreur, ne se rapproche-t-on pas peu à peu de quelque chose qui est de l’ordre de la lumière ?

Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attaché ?

Ma première valeur, c’est l’amour, car je pense profondément que lorsqu’une femme et un homme s’aiment réellement, le divin est toujours entre eux. Et cet amour en est la manifestation. Ensuite, vient l’honnêteté, et j’y englobe évidemment l’honnêteté intellectuelle. Je ne supporte pas ces gens qui vous vendent de la fausse marchandise en profitant de l’ignorance qu’ils vous supposent.
Il y a aussi l’amour du prochain, mais je me demande si ce ne sont pas les traces de mon éducation chrétienne. Est-ce que vraiment cela va de soi - ou plutôt, un peu trop de soi ? Je ne sais pas, à nouveau. Mais en même temps, c’est toujours extrêmement difficile d’arriver à discerner ce qui est de l’ordre du conditionnement que nous avons reçu, et de celui de la vraie liberté créatrice. Là, je l’avoue, je ne sais vraiment pas. Après cela, y a-t-il encore beaucoup de voiles à enlever ? L’avenir me le dira… Comme toujours, on essaye de décrire le chemin que l’on peut.

De quelles manières les rendez-vous vivantes ?

L’amour que j’avais pour ma femme, et qui a duré des dizaines d’années, s’imposait. Je l’aimais, c’était tout.
Quant à l’honnêteté, elle exige constamment un examen de soi. Je me pose toujours la question : « Es-tu fidèle à toi-même ? ». Mais à quel soi-même ? L’ai-je vraiment découvert ? Pour l’instant, je dirais que le « soi-même », c’est ce qui n’est pas de l’ordre du moi (le moi construit selon les valeurs collectives). C’est beaucoup plus, c’est la présence du divin en moi. Mais alors, qu’est-ce que le divin ? Je « sais » que c’est quelque chose qui me dépasse complètement, qui est à la source de tout. J’en suis fermement convaincu, mais je ne peux pas le démontrer : c’est de l’ordre de ma croyance la plus profonde. Et si cette croyance a été longue à acquérir, elle guide aujourd’hui ma vie. Pourtant, si le divin existe ainsi pour moi, je ne veux pas l’imposer à quelqu’un d’autre et je ne veux surtout pas imposer ma manière de le ressentir.

À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?

Ce que je peux transmettre serait plutôt de l’ordre de ce que je porte en moi, que de l’ordre de la connaissance. Et en même temps, ce que je ressens dans le cœur de mon cœur, cette intuition de quelque chose qui me dépasse infiniment, est-ce de l’ordre d’une transmission ou d’un témoignage ? Je pense que cela relève en fin de compte du témoignage. Ce qui est paradoxal, c’est que j’ai passé toute ma vie à transmettre et que mes émissions radiophoniques étaient de l’ordre de la connaissance en tant que telle ! (Encore que… il faudrait demander aux auditeurs si, souvent, ils n’ont pas senti quelque chose qui allait bien au-delà ?)
Sur le fond, je pense qu’il n’y a pas de « connaissance » qui ne soit d’abord bâtie sur une expérience vécue. Entendons-nous bien : je ne renoncerais pour rien au monde au pouvoir de la raison, mais la raison ne s’exerce que s’il y a une expérience dont elle a à rendre compte, et il s’agit dès lors d’instaurer un continuel va-et-vient entre l’expérience et la raison. Être soi-même, n’est-ce aussi la manière de s’expliquer soi-même avec les choses ?

À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?

Si cela pouvait être vrai ! Car je suis frappé de voir le nombre de gens qui ne se posent pas de questions ! Mais après tout, si cela leur convient ? Est-ce que j’ai à juger ? Est-ce que je peux juger ? Est-ce que j’ai même le droit de juger ? Cela ne correspond pas à ma manière de vivre, mais ma manière de vivre n’est bonne que pour moi !
Il est essentiel de respecter la liberté de l’autre. Je ne peux pas dire : « J’ai la vérité » et avoir une espèce de vue impérialiste de la vérité ! Il faut admettre que l’autre est réellement l’autre, qu’il n’est pas une copie de moi.
Je crois que chaque être humain a une part de divin en lui, et que beaucoup l’ont oubliée. Chacun chemine comme il le peut et par rapport à ses demandes intérieures. Je reconnais que mes positions sont un mixte de mon éducation chrétienne et de mon intérêt pour l’Inde. Mais je serais bien incapable de me dire à quoi je me rattache au juste. Mais c’est aussi la voie de chacun que d’avoir à s’expliquer avec des pensées différentes, avec des manières de voir différentes, où chacun se bâtit sa croyance, celle qui lui convient et qui est toujours la réfraction à nouveau d’une lumière.
Je reproche à beaucoup de personnes de prendre leur croyance pour de la vérité. La croyance est personnelle, elle a les couleurs qui correspondent à ma vie, à mes négociations, et surtout elle n’est pas forcément bonne pour tout le monde.
J’ai toujours cultivé, et je continue de cultiver, cet immense respect pour ce qu’on appelle la liberté de l’autre.


Instantané

Dites-nous, Michel Cazenave…

Quel est votre mot préféré ? Amour.

Quelle est votre fleur préférée ? Rose.

Quelle est votre musique préférée ? Certains opéras de Mozart et “Tristant et Iseult”, de Wagner.

Quel est le lieu qui vous inspire ? Rocamadour.

Quel est le livre qui vous a le plus marqué ? La personne de Ayesha dans She (“Celle-qui-doit-être-obéie”), d’Henry Ridder Haggard. Je crois beaucoup plus en la déesse qu’en Dieu. Et c’est ma manière à moi d’appréhender le divin sous sa forme féminine.

Y a-t-il une personne qui vous a particulièrement inspiré ? André Malraux.

Quel est votre héros ou votre héroïne ? Je ne sais pas trop.

Quelle personne désireriez-vous rencontrer ? Quasiment personne parmi les vivants. Sinon Rama Krishna.

Qui aimeriez-vous être ? Celui que je dois être.

Quel est votre rêve de bonheur ? Retrouver ma femme décédée.

Si vous aviez une devise, quelle serait-elle ? Aime et fais ce que tu dois.

Si vous rencontriez Dieu, que lui diriez-vous ou que désireriez-vous qu’Il vous dise ? - « Est ce que tu as tellement bien travaillé ? » et J’aimerais qu’Il m’explique en quoi le monde est beau !

th-2.jpgMichel Cazenave est écrivain, philosophe, poète et un des spécialiste de l’œuvre de Jung. Il a consacré une grande part de son activité à la production d’émissions sur la pensée philosophique et la spiritualité (Les Vivants et les Dieux). Parmi plus d’une cinquantaine d’ouvrages : Tristan et Iseult, (Albin Michel, 1985) ; Chants de la Déesse, (Le Nouvel Athanor, 2005) ; Jung revisité, (Entrelacs, 2 tomes 2011 et 2012) ; Visages du Féminin sacré, (Devry, 2012).....

Michel Cazenave a réalisé son rêve de "bonheur," car il a retrouvé le 20 août 2018, sa femme décédée.