Bec-Hellouin4.jpgCharles Hervé-Gruyer a créé en 2003, avec son épouse Perrine, une ferme biologique et pédagogique au Bec Hellouin dans l’Eure.

« Notre potentiel d’être humain est infiniment vaste et beau. Osons l’explorer ! Cessons de ramper comme des chenilles et déployons nos ailes... »

Charles Hervé-Gruyer, Dame Sagesse vous a invité à sa table et désirerait mieux vous connaître.

• Comment vous présenteriez-vous ?
Je suis paysan bio et fier de l’être ! Comme les femmes, le paysan porte la vie. Le corps de nos clients est formé du corps des fruits et légumes que nous cherchons à faire pousser, ma femme Perrine et moi, avec conscience et amour. À dire vrai, nous ne faisons rien pousser. Les plantes n’ont pas besoin de nous pour croître ; le soleil, l’air, la pluie et les minéraux de la roche mère leur suffisent. Nous sommes juste les assistants de la force de vie présente au cœur de chaque graine, présente dans l’humus. Nous cherchons à favoriser l’épanouissement de la vie sur terre.
Auparavant, j’ai été longtemps marin, à bord de mon voilier- école Fleur de Lampaul. Ces voyages ont été une longue quête de sens. Je cherchais ma place sur terre, comment vivre en harmonie avec cette planète extraordinaire que nous avons le privilège d’habiter. Je me suis mis à l’école des peuples premiers. J’ai eu de grands maîtres aux pieds nus. Marin devenu paysan, c’est le même voyage, la même quête de sens qui se poursuit. Dans un petit bout de vallée normande, nous avons créé la Ferme biologique du Bec Hellouin, où nous explorons les manières les plus naturelles qui soient de cultiver la terre.
Mais un être humain ne se réduit pas à son métier. Je suis, depuis le ventre de ma mère, un chercheur d’absolu. En naissant, j’ai été déçu par ce monde. J’espérais l’Amour inconditionnel, rien de moins ! J’étais habité d’un désir d’Éden. Il a fallu apprendre à vivre avec cette déception. Cette soif m’a mis en route. J’essaye chaque jour davantage de me relier à ce qui ne passe pas, à cette réalité ultime cachée derrière les apparences. Je pleure, je prie pour que les voiles se déchirent. Chemin faisant, j’ai appris à aimer passionnément ce monde. J’en suis aujourd’hui éperdument amoureux ! En naviguant autour de la planète bleue, j’ai compris que nous vivons au cœur d’un miracle ! Si belle et vulnérable, la biosphère est unique dans l’infinité de l’espace, comme un jardin dans les étoiles.
Une graine portée par le vent, l’éclat du soleil sur la rivière, la courbe d’une fougère, le souffle de mon cheval, la peau de ma femme, le regard confiant de mes enfants, toutes ces choses éphémères me parlent d’éternité. De toutes mes forces, j’essaye de construire un jardin d’Éden dans notre vallée. Je suis la voie des fleurs et des oiseaux, c’est mon ascèse, ma sadhana, ma joie.

• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amené à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?
Un soir, sur l’île de Mulatupo Sassardi, dans l’archipel des San Blas, à Panama, j’ai pénétré dans la case du Congrès des Indiens Cunas. Cette communauté s’est protégée de l’influence des Blancs, y compris les armes à la main. Les Blancs ne sont généralement pas autorisés à dormir sur les îles. Fait exceptionnel, nous avions l’autorisation de séjourner à Mulatupo.
Mais étais-je bienvenu dans la case du Congrès, où le peuple se réunissait tous les soirs autour des sahilas, les chefs ? Je me suis fait tout petit et me suis assis au fond, le plus discrètement possible. Un jeune homme m’a repéré et m’a dit : « Que fais-tu là tout seul, comme un homme qui n’a pas d’ami ? » Je lui ai raconté que nous naviguions autour du monde pour étudier les savoirs des peuples traditionnels. « Mais c’est intéressant tout cela, viens en parler aux sahilas ! ». Un peu tremblant, je me suis retrouvé au premier rang, devant les hamacs des chefs. J’ai pu leur poser toutes les questions que j’avais sur le cœur depuis tant d’années. Pedro Hakin, le premier sahila, m’a dit cette phrase inoubliable : « Si nous, les Cunas, arrêtions de prier pour vous, les Blancs, vous n’existeriez plus. » J’ai compris que nous étions tous les gardiens de la vie, solidaires les uns des autres, responsables de la Terre, mais aussi de l’ordre cosmique.

• Quelle est votre vision du monde actuel ?
Notre monde est en train de mourir. La société occidentale, matérialiste, prédatrice, est à l’agonie. Elle a mis à mal, en quelques décennies, tous les grands équilibres de la biosphère. Mais un autre monde est en train de naître : tout autour de la planète, dans chaque village, chaque quartier, des personnes deviennent des explorateurs de l’avenir. Elles inventent des modes de vie inédits, de nouvelles manières de se nourrir, de se loger, de travailler, de se relier aux autres et à la nature. Nous entrons dans une période de mutation sans précédent à l’échelle de l’humanité. Nous allons vivre un accouchement qui ne sera pas sans douleur. Nous abordons une période de transition, sur le plan énergétique en particulier, qui va nous amener à revisiter les fondements mêmes de notre civilisation. Refuser cette mutation, nous agripper au vieux monde ne fera que retarder l’accouchement, le rendant plus périlleux.
Cette crise me semble être une extraordinaire opportunité. J’espère de toutes mes forces que l’humanité va se réveiller de son sommeil, ouvrir les yeux sur le monde qui nous porte et réaliser enfin que le seul bien qui compte vraiment, le plus précieux des trésors, c’est la vie. Nous ne connaissons aucune autre planète vivante. Si nous continuons à détruire la vie sur terre, nous signons notre arrêt de mort. Lorsque nous réaliserons collectivement cette vérité toute simple, nous porterons enfin tous nos efforts sur la préservation de ce patrimoine commun, la biosphère.
Ayant été témoin de la dégradation de la planète durant mes années de voyage, ayant constaté tant de destructions et de souffrances, longtemps je me suis lamenté sur le monde qui meurt... Mais aujourd’hui, j’engage toute mon énergie dans l’accouchement du monde de demain. J’ai choisi d’être optimiste. J’ai choisi la confiance. Je ne me bats contre personne, je ne dénonce rien, je cherche juste à inventer des alternatives qui marchent, à ouvrir le champ des possibles. C’est bien plus motivant, je sais pourquoi je me lève le matin !
Ce n’est pas un chemin solitaire. À chaque pas, Perrine et moi nous sentons davantage reliés à une communauté de cœur et d’esprit, un écosystème de personnes qui, comme nous, cherchent, se plantent, repartent, avancent, jubilent !

Charles-Herve-Gruyer.jpg• Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attaché ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?
Pour moi, la valeur ultime est le respect de la vie sous toutes ses formes. Nous avons découvert il y a quelques années la permaculture, un système conceptuel né en Australie dans les années 70, qui s’inspire de la nature. L’idée centrale de la permaculture est de concevoir des installations humaines qui fonctionnent, autant que faire se peut, comme des écosystèmes naturels. Cette approche bio- inspirée est complètement à l’opposé du modèle dominant, qui ne cesse d’artificialiser la nature, avec les conséquences que l’on connaît. La permaculture repose sur une éthique formulée en trois points : prendre soin de la Terre, prendre soin des hommes, partager équitablement les ressources.
Au quotidien, nous essayons d’imaginer, Perrine et moi, une agriculture bio-inspirée qui nous fasse pénétrer dans une spirale vertueuse. Une manière de cultiver des plantes, d’élever des animaux qui soit bonne et pour la terre, et pour les humains. C’est possible ! Ce type d’agriculture enrichit les sols, protège la biodiversité, restaure les paysages, stocke du carbone, et produit une abondance de végétaux de qualité, source de santé et de vitalité. En plus, c’est beau et c’est bon. Le plaisir est aussi une récolte ! Une ferme permaculturelle nourrit davantage que les corps !
Après quelques années de travail intense, notre rêve s’incarne : les médiocres herbages où nous avons créé la ferme deviennent une oasis féconde. Une matrice qui nous nourrit et nous protège. Nous nous émerveillons chaque jour davantage de l’abondance que génère la vie lorsque l’on marche dans son sens. Nous menons un programme de recherche avec des agronomes, et les grands chefs nous disent que nos légumes ont une saveur incomparable ! Nous n’en sommes qu’aux premiers pas d’un passionnant voyage d’exploration. L’agriculture bio - inspirée est devant nous.

• À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?
Une infinie confiance dans le vivant. La conviction que l’être humain a un rôle essentiel à jouer pour le bien de tous. Nous sommes la conscience de l’univers, l’interface entre la Terre et le Ciel. Ne nous défilons pas face à la responsabilité qui est la nôtre.
Nous vivons l’époque de tous les dangers. Elle est aussi l’époque de tous les possibles. Être humain au XXIe siècle est un privilège. Osons changer de rêve, quittons cette vision consumériste qui fait de nous des pillards. Transcendons nos différences pour imaginer ensemble l’avenir de cette petite planète bleue posée comme un joyau dans le vide sidéral. Le monde de demain n’existe pas.
Une seule certitude : il ne pourra pas être le simple prolongement de la société actuelle. Nous sommes réellement en charge d’inventer un monde inédit. Quelle responsabilité ! Quel défi exaltant ! Nous ne sommes pas démunis pour cela : la riche mosaïque des sociétés humaines nous offre une multitude de solutions qui marchent dans quasiment tous les domaines. Tout est possible, si nous nous mettons au service de la vie.
J’ai la ferme conviction que nous sommes bien plus libres que nous ne l’imaginons. Les obstacles ne sont pas dans le monde extérieur, mais logés dans notre mental. Notre potentiel d’être humain est infiniment vaste et beau ! Osons l’explorer ! Cessons de ramper comme des chenilles et déployons nos ailes !

À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?
C’est une évidence ! Pourquoi insistons-nous tant sur nos différences ? Les gens de droite prennent ceux de gauche pour des monstres et vice versa, pourtant nous avons tous 98 % de gènes en commun avec les chimpanzés ! Ce qui nous unit est bien plus fort que ce qui nous sépare.
Pendant vingt-deux années, j’ai visité avec des équipages d’enfants des peuples de toutes cultures, couleurs, langues et religions. Nous arrivions avec un cœur ouvert et ils nous accueillaient avec un cœur ouvert. Il n’y a jamais eu un mouvement de rejet ! Nous avons vécu en deraah au Sahara, en kalimbé dans la forêt amazonienne, en saïa dans les îles d’Afrique noire, en paréo aux Marquises et même en étui pénien au Vanuatu ! Les Aborigènes d’Australie nous ont peints de leurs couleurs du Temps du Rêve. Quelle école d’humanité ! Comment ne pas se sentir ensuite citoyen du monde ?
Derrière la diversité des noms et des formes, il y a un principe de vie unique. Nous en sommes tous habités. L’herbe, le papillon, le martin- pêcheur, le mérou, la baleine sont mes frères et mes sœurs au même titre que le Papou, le Touareg, le Lapon ou le Cuna.
Lorsque nous plongeons au plus profond de nous-mêmes, nous nous rapprochons de cette source unique et la conscience de l’Un grandit. Les problèmes, comme les solutions, prennent naissance en nous. Notre manière de façonner les paysages extérieurs reflète nos paysages intérieurs. La solution à la crise écologique n’est pas technique – les solutions existent. Elle est avant tout émotionnelle et spirituelle.
Notre époque détruit la vie et nous fait perdre le chemin du cœur. Les deux vont de pair. L’isolement marche avec la mort. La vie est unité. Les sagesses du monde nous apprennent que seul l’Un est réel, nos divisions ne sont qu’illusions. Pour les Orientaux, l’Éveil est la conscience de l’Un.
Nous détruisons la nature parce que nous nous en croyons séparés. C’est une forme d’aveuglement. Partons à la découverte de notre être essentiel, cultivons notre jardin intérieur et le monde s’embellira tout naturellement autour de nous. Il n’y a qu’un chemin de guérison : il part de notre cœur et s’étend par cercles concentriques au cosmos tout entier. Prendre soin de soi et prendre soin du monde est un seul et même mouvement.
Les plantes, les animaux, nos compagnons de voyage, n’attendent qu’une chose : que nous devenions véritablement humains. Donc véritablement divins. Tout est Un.
Comme me l’a appris le sahila Pedro Hakin, je prie tous les jours pour chaque herbe, chaque animal, chaque être humain qui habite cette planète.

Charles Hervé-Gruyer a créé en 2003, avec son épouse Perrine, une ferme biologique et pédagogique au Bec Hellouin dans l’Eure. Un projet de recherche « Maraîchage biologique permaculturel et performance économique » est réalisé, en partenariat avec une unité de recherche d’AgroParisTech et l’INRA, la Fondation de France et d’autres organismes. Au cœur de la ferme, un éco-centre dispense des formations pour ceux qui veulent découvrir la permaculture et l’agriculture naturelle.

Contact : École de Permaculture, 1, sente du Moulin-au-Cat – 27800 Le Bec Hellouin ; tel/fax : 02 32 44 50 57 ; contact@fermedubec.com

41g_s4_mKSL._SX365_BO1_204_203_200_.jpgPerrine et Charles Hervé-Gruyer ont publié en septembre 2014, Permaculture - Guérir la terre, nourrir les hommes. (Ed. Domaine du Possible - Actes Sud - 22,80€).
Ce récit est celui d'une famille qui a réussi à créer, en quelques années seulement, une oasis de vie généreuse sur des terres peu fertiles. C'est également une vaste enquête menée autour du monde, à la rencontre des pionniers de l'agriculture qui explorent des voies novatrices et inventent le domaine de demain.
La ferme du Bec-Hellouin, créée en 2003 par Perrine et Charles Hervé-Gruyer en Haute-Normandie, fait aujourd'hui référence en matière d'agriculture naturelle. Cette réussite démontre la pertinence sociale, économique et écologique d'une agriculture permaculturelle. Dans cet ouvrage résolument positif, les auteurs proposent de nombreuses pistes novatrices, fondées sur des expériences réussies développées pour une agriculture tournée vers l'avenir.

Avenir-plat1.jpgPour lire son témoignage au complet, page 139, dans L'avenir est en nous de Marie Clainchard - Ed. Dangles - mars 2014, sans oublier les témoignages de 42 autres aventuriers de l'existence… Ces témoignages vont raviver votre propre flamme, éveiller ou réveiller en vous l'aventurier, l'inventeur, le sage et le poète. Ils vous permettront de vous affranchir de certains conditionnements pour réinventer d'autres possibles, réorienter votre regard et vous laisser emporter dans le courant de la vie et de la créativité. - 310 pages - 20€.