201510_-_Genevie_ve-0793.jpgGeneviève Chincholle-Quérat est analyste jungienne, voyageuse, artiste et écrivain. Dernières publications : Les Affranchis (L’Harmattan, 2011) ; Identité et altérité à travers deux contes. Voyages initiatiques et poétiques (L’Harmattan, 2013).

Geneviève Chincholle-Quérat, Dame Sagesse vous a invitée à sa table et désirerait mieux vous connaître.

• Comment vous présenteriez-vous ?
Je pense à la chanson d’Édith Piaf « Non, Johnny, tu n’es pas un ange ». Pour se présenter, faut-il montrer le bon profil, celui de Geneviève Chincholle-Quérat, voyageuse, artiste, psychanalyste, ou bien montrer le profil sombre, absolu, celui de mes années dans la jungle à haïr le monde, à fuir, à chercher ma voie loin des bancs des universités et des routes que l’on avait tracées pour moi ?
À dix-huit ans, j’étais dans Rimbaud, la route, la révolte, une sorte de bulldozer qui ne prenait pas le temps, le temps qu’il faut, qui brûlait tout, avec les défauts et les qualités de ma nature. Pour le dire plus simplement, beaucoup de souffrances et pas de repères. Une force, une énergie que j’ai mis toute ma vie à alchimiser, à canaliser.
À cinquante-six ans, je peins, j’écris, je voyage intérieurement, je cherche la lumière des choses simples ; alors il se produit ce que je cherchais jeune fille : « Ça s’ouvre et ça respire en moi. » Parce que j’accepte mon humanité, mon humaine condition. Pourtant, je continue à penser qu’il est nécessaire de se perdre pour se retrouver, c’est ce que j’explore en peignant.
Avoir été mère deux fois et mariée tient pour moi du miracle, bien plus que de vivre nue dans la jungle ! C’est par ma quête, ma route, ce que j’ai compris, extrait, guéri, que j’accompagne aujourd’hui ceux qui cherchent en leur âme l’essentiel.
Pour finir, je pourrais dire que je n’aime pas les regroupements, les ghettos, les bonnes pensées, tous les « ismes » qui ont amené l’humain à ne pas prendre en compte son propre mal, son ombre et ont débouché sur tous les génocides que l’on connaît.
J’apprécie la diversité, les mélanges de genres de vie, de milieux sociaux. Mes amies sont femmes de ménage, professeurs, psychologues, elles mangent des frites et des côtes de porc ou des soupes bio... J’aime ce mélange comme des fleurs différentes dans la composition florale. J’ai souvent été ressentie comme quelqu’un de provocateur, et pourtant, je suis plutôt timide et même inhibée ! Comme on fait un marathon, j’ai animé des conférences devant des centaines de personnes. Cela m’a toujours demandé beaucoup de travail sur moi-même. J’ai travaillé dans les campagnes, ai retroussé mes manches, n’ai pas compté mon temps ; j’ai tenté d’être vraie. Ce qui me caractérise vraiment : l’amour du mystère, de tout ce qui vit caché, en dessous, je pourrais dire aussi, désirer révéler ce que l’on classe en général dans les « dossiers noirs » !
J’aime vraiment les gens, pourtant parfois je les déteste, enfin... comme tout le monde ! Finalement, dans les titres de mes ouvrages, se trouve tout ce que j’ai à dire : Lilly haute mer écrit à dix-huit ans, Faim de vie, fin de folie à trente ans, La Lézarde à trente et un ans, Les Affranchis, Marcher sa vie, danser sa parole et Entre eux deux coule une rivière.
Et puis, je n’ai pas dit mon dernier mot. Vivre est une aventure qui nous permet de devenir vivant et plus humain, de passer de l’absolu à la mansuétude, sinon c’est raté.

FB-1070006.jpg "La lézarde" - Collage photos et multi-techniques.

• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amenée à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?
Enfant, je fus étonnée de voir les adultes se déchirer, se mentir, attacher de l’importance à ce qui me semblait ne pas en avoir et ne pas s’occuper de ce qui avait du sens à mes yeux. J’avais l’impression de vivre cachée, j’avais honte de me sentir différente. Cette expérience a été fondatrice de toute ma quête.
Ensuite vint l’amour fou à vingt-deux ans, une passion qui transporte, fait décoller, amène au-delà de soi et fait tout découvrir.
Et que dire des voyages... ! Particulièrement Bénarès en Inde, où je suis restée un moment ; la conscience aiguë de la vie et de la mort, mêlée à ceux qui naissent, vivent, les temples, les odeurs, les couleurs, ceux qui se baignent, les bouts de cadavres qui flottent, qui crament et le tout mêlé ! Ce fut une expérience inoubliable qui a laissé une profonde empreinte dans ma vie. J’ai cette conscience de la force de « vie-mort-vie » dont parle très bien Clarissa Pinkola Estés dans les Femmes qui courent avec les loups (1). Lors de tous mes voyages (Inde et Afrique), je rencontrais des gens qui n’avaient rien et qui reflétaient le Tout. J’ai rencontré la vraie pauvreté matérielle, mais qui n’empêchait pas de rayonner, et cela m’a donné du recul par rapport à ma civilisation et à ma société.
Une étape bouleversante, l’arrivée de mes deux enfants. À chaque fois, ce fut une révolution fondamentale. Sans oublier la maladie avec la mort palpable, qui m’a remise dans quelque chose d’essentiel ; j’ai eu le sentiment que je quittais la rive des humains, qu’un courant m’emmenait, que si je résistais et me battais avec celui-ci, je me noyais. Je m’y suis abandonnée avec une foi totale, et le courant m’a ramenée vers la vie !

FB-1070012.jpg "Le V de la vie" - Collage et multi-techniques -

• Quelle est votre vision du monde actuel ?
Une soupe où le pire côtoie le meilleur, où l’ombre sort du bois, tout à construire, une aventure terrible et merveilleuse ! Optimiste, pessimiste, cela dépend des jours. En tant qu’analyste, je vois des personnes qui vivent des épreuves terribles, des enfants qui meurent... Cela m’atteint, m’entame. Alors je me calme, je me remets en ordre, je vais marcher, je respire, je remercie.
Je suis dans la vie. « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil » (Shakespeare).

FB-1070017.jpeg "Le bois de Saint Lazare" - Collage photos et multi-techniques.

• Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attachée ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?
Si je voulais provoquer, je dirais que je suis une punk ou une post- punk. Je crois en l’authenticité, à notre capacité d’évoluer, à devenir alchimiste de sa propre existence. Je crois au trésor caché au centre de l’être. Ce sont la vie et parfois les épreuves qui m’amènent à dégager la valeur du sens et des sens. « L’or est dans le fumier. »
Je travaille mes valeurs dans le quotidien, à travers la simplicité, la rencontre et la créativité. Par exemple, en ce moment, devant la fenêtre de mon bureau, il y a un homme qu’on appelle un « SDF ». J’observe ce monsieur, il ne me voit pas, il pêche son poisson, il reste des heures dans le froid. En quittant mon cabinet, je le voyais chercher son petit bois pour faire cuire son poisson. Je me demandais comment rentrer en contact avec cet homme, sans être celle qui aide, qui « sait ». Être uniquement dans le partage.
À La Réunion, où j’ai eu mon premier enfant, j’avais une petite case créole à côté de celle de toute une famille très pauvre. Au retour d’une promenade avec mon bébé, étonnement : le ménage était fait ! Spontanément, je suis allée dans la case voisine, et j’ai demandé où était le balai afin de faire le ménage à mon tour. Ils ont tellement ri ! Cela a brisé les archétypes des Blancs et des Noirs, des maîtres et des esclaves, et cette brèche a permis une amitié qui perdure. Je cherche les passages improbables, transversaux, qui bousculent les regards prévisibles ou attendus. Réinventer le monde, c’est là que ça se passe. Ici, avec ce que la vie vous propose comme événements, toutes sortes d’événements.

FB-1070019.jpg "Claire-voie" - Collage photos et multi-techniques.

• À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?
Le goût, la saveur de la vie, l’intensité, la patience, le feu... sans oublier la transmission de la grand-mère, les recettes de gâteaux, l’observation des oiseaux, la peinture, prendre son temps... À travers les écrits, faire sentir que chacun d’entre nous possède une flamme et la capacité de guérir ses blessures ou d’apprendre à vivre avec...

FB-1070021.jpg "Le bateau" - Collage photos et multi-techniques.

• À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?
Je me sens très partagée. Dans la réalité, quand nous regardons notre planète, notre façon d’être avec l’autre quand il est différent de nous... Ne rêvons pas, ce n’est pas si simple. L’autre, c’est un chemin exigeant !
Les Occidentaux savent coloniser, mais pas aimer ! Nous avons tout à apprendre. Maintenant que nous avons détruit tant et tant, allons-nous sortir de nos vanités, de nos ombres projetées ailleurs, hors de chez nous ? Allons-nous nous mettre debout et devenir tous compagnons de voyage ? Je n’en sais rien. Être un compagnon pour soi-même est la première pierre du chemin. L’âge m’amène à plus d’humilité.
Et pourtant, j’accueille avec joie ce vers de Dante : « C’est l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles », ainsi que celui de l’ange dans les Dialogues avec l’ange, dialogues recueillis par Gitta Mallasz : « Séparément vous êtes des esclaves. Unis vous êtes libres » ! (2)

(1) Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés, Le Livre de Poche, 2001. (2) Dialogues avec l’ange – Entretien 31 avec le Maître de Hanna – vendredi 21 janvier 1944, Aubier, 2007.


FB-1070003.jpg "La porte de l'hiver" - Collage papier et multi-techniques.

Geneviève Chincholle-Quérat, vous êtes psychanalyste jungienne, vous écrivez et peignez. Pourquoi la peinture ? Que vous apporte l'acte de peindre ?''

Je ne peins pas depuis longtemps. J’ai commencé par des collages. Par exemple collages autour du génogramme, avec des photos des ancêtres, en laissant une grande part à l’intuition, à la créativité. Puis des collages avec des photos de vie, à différentes époques, et enfin des collages libres. J’ai passé des journées à coller, mélanger, inventer.
En tant qu’analyste jungienne, j’ai également fait travailler des personnes de cette façon. Jung appelait ce dialogue avec l’inconscient « Imagination active ».
Ma peinture est née de cela, il y a trois ans environ.
Quand je peins, je ne sais jamais ce qui va se passer. J’ai peint « Tsunami » la veille de la catastrophe du Japon, j’ai peint les ancêtres justes avant un décès… Je ne sais ni pourquoi ni comment, mais il se passe quelque chose qui m’échappe et que j’accompagne. Oui, c’est comme cela que je travaille, avec ce qui me traverse.

FB-1070026.jpg "L'homme debout" - Collage papier journal et peinture.

Voici ma charte de travail :
Renoncement à vouloir faire du beau
Sentir le papier, la texture, la couleur
Ne pas se soucier de savoir ou de ne pas savoir
S’autoriser à détruire, à salir, et à recomposer avec ce qui a été rejeté
Écouter ses envies de couleur, de texture : craies sèches, grasses, colle, sable, crayons, peinture, photos froissées…
Peindre avec un pinceau, ses doigts, un bâton trouvé dans le jardin, une fourchette, une carte bancaire… Frotter, déchirer, coller, gratter…
Ne pas s’installer, se mettre à nu et faire des contraintes un chemin.
Écouter, regarder, sentir, oser le vide.
Cet acte de créer, avec des mots et des couleurs demande un engagement de l’Être total, comme un enfant quand il joue est « complètement là ».
Chaque jour est une vie. Bien sûr nous allons perdre une partie de ce que nous pensons être, mais nous allons découvrir l’intensité et la densité d’une vie ayant du goût et du sens. De la profondeur jaillit l’inattendu. Travail du poète, du mystique, du chamane : « va, là où tu ne sais pas » et je rajouterais : « Et vas-y de bon cœur ! »


==> Pour mieux connaître Geneviève Chincholle-Quérat :

http://www.genevievechinchollequera...

https://www.youtube.com/watch?v=L_t...

==> Contact : contact@genevievechinchollequerat.com


Avenir-plat1.jpg Le témoignage complet de Geneviève Chincholle-Quérat, dans L'Avenir est en nous - de Marie Clainchard ; Editions Dangle - page 83 - (300 pages, 20€)
Quarante-trois aventuriers de l'existence et amoureux de la sagesse (Stéphane Hessel, Boris Cyrulnik, Pierre Rabhi, Jean-Marie Pelt, Annick de Souzenelle, Jacqueline Kelen…) ont accepté de s'ouvrir en toute authenticité, simplicité et humanité. Ils évoquent leurs expériences et leurs vécus, leurs découvertes, partagent leurs espérances, transmettent leurs valeurs…
Un partage d'intelligence, de créativité et de sagesse pour ré-enchanter le monde !