matthieu-ricard.jpg Matthieu Ricard : Sortir de l’enfer grâce à la compassion…

« Quelle que soit la personne que tu rencontres, sache qu’elle a déjà plusieurs fois traversé l’enfer, » écrit Christian Bobin. C’est bien un enfer qu’ont vécu nos frères et sœurs parisiens, ceux qui ont perdu la vie, ceux qui ont été grièvement blessés, leurs proches et tous ceux qui ont été bouleversés par la tragédie qui a frappé un pays en paix depuis plus d’un demi-siècle. Comment ne pas perdre courage ? Comment réagir avec justesse devant un tel déferlement de barbarie ? Se résigner à une situation inacceptable ? Faire preuve de fortitude ? La résignation mène au découragement et à la passivité. La résilience, elle, engendre la force d’âme indispensable pour faire face à l’adversité avec sagesse et compassion. Quant à la peur, nous devons la surmonter par la solidarité.

Dans le cas d’une organisation comme Daech, il ne s’agit pas de tolérer leurs actions innommables. Nous devons tout faire pour y mettre fin. Dans le même temps, il faut se rendre compte que ces gens ne sont pas nés avec le désir de couper des têtes et de massacrer tous les habitants d’un village. Un ensemble de causes et de conditions les a conduits à ce terrible comportement. La compassion, dans ce cas, c’est le désir de remédier aux causes, comme un médecin souhaite mettre fin à une épidémie. Cela implique, parmi d’autres moyens, de remédier aux inégalités dans le monde, de permettre aux jeunes d’accéder à une meilleure éducation, d’améliorer le statut des femmes, etc., pour que disparaisse le terreau social dans lequel ces mouvements extrêmes prennent racine.

Quand la haine a déjà enflammé l’esprit de quelqu’un, la compassion consiste à adopter face à lui l’attitude du médecin envers un fou furieux. Il faut d’abord l’empêcher de nuire. Mais, comme le médecin qui s’attaque au mal qui ronge l’esprit du fou sans prendre un gourdin et réduire son cerveau en bouillie, il faut aussi envisager tous les moyens possibles pour résoudre le problème sans tomber soi-même dans la violence et la haine. Si la haine répond à la haine, le problème n’aura jamais de fin. Le moment est venu d’appliquer le baume de la compassion sur nos blessures et nos peines et sur la folie du monde.

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Alors que la COP 21 se tient à Paris, les événements tragiques qui ont eu lieu dans la capitale française doivent nous inciter plus que jamais à manifester davantage de considération pour autrui, à faire preuve de solidarité et, en ce qui concerne l’environnement, à inclure les générations futures dans la sphère de notre compassion.

Il a souvent été dit que les politiciens pensent aux prochaines élections, tandis que les hommes d’État pensent à la prochaine génération. Il est temps pour les politiciens de se comporter comme des hommes d’État responsables. Sinon, ils seront maudits par les générations à venir qui diront : « Vous saviez, et pourtant, vous n’avez rien fait ».

La question de l’environnement est complexe sur le plan scientifique, économique et politique. Mais en définitive il s’agit d’une opposition entre altruisme et égoïsme. Si nous ne nous soucions pas du destin des générations futures et des millions d’autres espèces qui sont nos concitoyens dans ce monde, nous n’avons guère de raisons de nous préoccuper de l’environnement. Mais il ne peut en être ainsi. Nous n’avons pas le droit de mettre en péril le sort de milliards et de milliards d’êtres humains qui naîtront après nous et de provoquer la 6e extinction majeure des espèces vivantes sur la planète depuis que la vie est apparue sur Terre.

Il est facile de dire que ce problème est grave mais qu’il n’est pas encore trop tard pour faire quelque chose. Sûrement quand nous avons déjà un pied au-dessus du précipice, il n’est pas trop tard, mais il pourrait l’être très bientôt.

Nous pouvons admettre que les êtres humains sont tous pour la plupart des gens de bonne volonté et aspirent à bâtir un monde meilleur. Ceci peut être accompli grâce à l’altruisme. Si nous avons plus de considération pour l’autre, nous mettrons en place une économie attentionnée, nous pourrons promouvoir l’harmonie dans la société et remédier ainsi aux inégalités. Nous ferons tout ce qu’il faut pour ne pas dépasser les limites de la planète au sein de laquelle l’humanité et le reste de la biosphère pourraient continuer à prospérer si nous ne détraquons pas le système.

Nous sommes fondamentalement interdépendants et sommes donc tous dans le même bateau. II importe donc de rehausser le niveau de notre coopération et de notre solidarité. Karuna-Shechen s’efforce de mener à bien des projets efficaces, utile et bien ciblés dans les domaines de l’éducation, de la santé, des services sociaux et de la préservation de l’environnement, projets qui répondent aux besoins des populations les plus desservies du Tibet, du Népal et de l’Inde du nord.

Les glaciers de l’Himalaya, au Tibet, au Népal, au Bhoutan et en Inde constituent le troisième des pôles de notre planète malade. Le problème est que ce pôle fond trois à quatre fois plus vite que les pôles Nord et Sud. On dénombre 40 000 glaciers de diverses tailles sur le plateau tibétain. Tous fondent rapidement. Au réchauffement général qui affecte l’ensemble de la planète s’ajoute le phénomène de la pollution qui, se déposant sur la neige, fonce la couleur des glaciers, si bien qu’ils absorbent davantage la lumière, ce qui accélère le processus de fonte. Au total ce sont maintenant 400 lacs glaciaires qui au Népal et au Bhoutan menacent de briser leur digue naturelle et d’inonder les régions peuplées des vallées en contrebas. Une fois ces inondations passées, et après que la surface des glaciers aura encore diminué, surviendra la sécheresse, puisque les torrents et les rivières cesseront d’être alimentées par la neige fondue. On comprendra que nous sommes donc hautement concernés par les questions environnementales et les changements climatiques.

47 % environ de la population mondiale, en Chine, en Inde et dans d’autres pays dépend pour son agriculture, son approvisionnement en eau et donc pour sa survie du bassin hydrographique (Indus, Brahmapoutre, Yangtsé, le Fleuve Jaune, Salouen, Mékong) délimité par le plateau tibétain. Les conséquences de l’assèchement de ces grandes rivières seront désastreuses.

A notre humble niveau, Karuna-Shechen s’efforce tout particulièrement d’apporter l’électricité solaire dans des villages isolés, d’encourager l’agro-écologie et la production d’aliments biologiques qui sont plus durables pour l’environnement local. Nous mettons également en œuvre des programmes de collecte des eaux de pluies, pour éviter d’épuiser les nappes phréatiques en creusant des puits profonds qui finissent par provoquer le tarissement des puits et des sources naturelles, comme cela se produit de plus en plus au Népal depuis quelques années. Nous avons également construit un certain nombre d’écoles, pour environ 12,000 enfants, en utilisant du bambou à la place de matériaux qui nécessitent une haute consommation d’énergie. Dans les provinces du Bihar et du Jarkhang, en Inde, nous avons mené à bien à création de 6 000 jardins potagers, où les agriculteurs cultivent une grande variété de légumes et de fruits pour subvenir à leurs besoins, pour pallier ainsi la hausse des monocultures qui appauvrissent la qualité du sol et réduisent considérablement la biodiversité.

Tout ceci n’est qu’une goutte dans l’océan, mais si nous faisons tous les efforts dans la bonne direction, nous serons effectivement capables de construire un monde meilleur.

Publié le 30 novembre 2015 par Matthieu Ricard, sur son blog.

==> Fondée en 2000 par Matthieu Ricard, Karuna-Shechen met en oeuvre des projets humanitaires pour les populations défavorisées d’Inde, du Népal et du Tibet.
==> Pour mieux connaître Karuna-Shechen : http://karuna-shechen.org/fr/