3671915-5424634.jpgFatimama Hamey-Warou a écrit cette lettre dans le cadre de l'Encyclopédie des Migrants (1)

IMG_1665.jpgChers Parents,

J’ai sans doute fait le choix le plus difficile de mon existence en vous écrivant cette lettre, chers Parents. J’aurais souhaité aussi l’écrire en haoussa, mais autant je continue à le parler avec mes enfants, je n’ai, malheureusement jamais appris à l’écrire à l’école.

Je souhaite surtout que cette lettre soit la manifestation du grand amour que j’ai nourri pour vous pendant des années et que je n’ai pas pu vous témoigner. Parce que dans mon éducation, on ne fait pas apparaître les émotions, les sentiments qui nous traversent, surtout envers son père. Je regrette d’avoir attendu votre mort pour vous le dire. Malgré cela, je voudrais que vous sachiez à quel point je suis à la fois émue et touchée de prendre ma plume pour vous dire tout l’amour, l’admiration, la fierté que j’ai enfouis dans mon cœur pour vous deux et je suis certaine que vous auriez été heureux de mieux connaître vos petits-enfants élevés dans les mêmes valeurs en France, où j’ai choisi d’habiter, notamment pour permettre à l’un de mes enfants soigné à l’hôpital de continuer à vivre. Vous m’avez servi d’exemple de respect, de tolérance, de courage, d’espérance, de combativité... durant toute ma vie. Ces valeurs m’ont permis d’avancer, de surmonter les obstacles les plus difficiles de ma vie, de comprendre l’autre. Vous m’avez toujours souhaité la voie de la réussite dans toutes vos prières !

Baba, le saviez-vous qu’en m’accompagnant avec l’oncle Abdou, au consulat de France pour l’obtention du visa, vous alliez confier mon destin à cette France que vous avez tant aimée et que vous avez contribué à libérer des nazis ! Vous faites partie de ces milliers de combattants de couleur noire recrutés aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique de l’Est, qui ont, de gré ou de force, été arrachés à leur terre natale pour répondre à l’appel du général de Gaulle en 1940 afin de défendre l’honneur et la dignité de la mère patrie ! On vous avait tous attribué le générique de « tirailleurs sénégalais ».
Je veux par cette lettre vous donner votre « dignité » en vous reconnaissant comme tirailleur nigérien ! Vous n’avez jamais arrêté de me répéter que ce qui a été injuste c’est au niveau de la pension car vous êtes mort sans avoir touché votre pension malgré les innombrables recours. Pourtant, vous n’avez jamais nourri de haine ou de colère : c’est vous qui avez transmis à toute votre descendance l’amour de la France. Aujourd’hui, je me sens entièrement française, même si j’ai gardé des liens avec mes sœurs et mes frères restés au Niger. Je vous remercie, Papa de m’avoir élevée dans l’amour et le respect de la diversité culturelle en insistant sur l’importance de l’éducation, base de la réussite scolaire et sociale.

Vous n’avez jamais cessé de nous répéter que rien ne pourra se construire durablement si les bases ne sont pas fondées et solides. Et cela ne peut être possible dans d’autres circonstances de la vie que si c’est vous-même qui choisissez la ligne directrice de ce que vous souhaitez devenir ou faire de votre vie. C’est en donnant du temps au temps que je suis parvenue, notamment en travaillant avec des chercheurs comme Christian Leray, sociolinguiste, dont j’ai suivi les cours sur l’interculturalité à l’université Rennes 2, à prendre conscience de la diversité linguistique et culturelle qui compose notre société française et ainsi de la nécessité de créer et de construire des espaces de dialogue comme l’arbre à palabres du vivre-ensemble.

Papa, vous qui avez tant participé à des arbres à palabres au Niger, vous n’auriez jamais pensé que l’on pouvait l’adapter en France pour mieux vivre ensemble et développer la citoyenneté de chacun. Auriez-vous pu penser aussi, chers Parents, qu’à la sortie de l’université j’allais créer l’association MATA pour promouvoir les droits des femmes comme le nom haoussa de l’association l’indique. Avec MATA en France et au Niger, nous avons développé, par nos actions concrètes, des relations internationales sur l’interculturalité, dans le but de développer notre patrimoine humain commun que doit être « cette humanité solidaire ». Il s’agit d’aller au-delà des divergences politiques, sociales, économiques et culturelles pour bâtir les « pages » d’une nouvelle histoire qui nous ressemble.

Fatimata Hamey-Warou
Dosso, Niger Rennes, France

IMG_1683.jpgFatimata, franco-nigérienne et femme engagée
À la fois africaine et française, Fatimata Warou a trouvé sa place de femme dans les deux sociétés où elle vit. Avec l'association Mata qu'elle a créée en 2003, elle s'active entre le Niger et la France. Depuis peu, elle fait aussi partie des « Femmes d'Afrique et de Bretagne en réseau » (FABER). ¨Pour en savoir plus : http://www.histoiresordinaires.fr/F...

(1) Encyclopédie des Migrants

L’Encyclopédie des migrants est un projet d’expérimentation artistique à l’initiative de l’artiste Paloma Fernández Sobrino, qui vise à réunir dans une encyclopédie 400 témoignages d’histoires de vie de personnes migrantes. Il s’agit d’un travail contributif qui part du quartier du Blosne à Rennes et qui rassemble un réseau de 8 villes de la façade Atlantique de l’Europe, entre le Finistère breton et Gibraltar.

ECRIRE UNE HISTOIRE INTIME DES MIGRATIONS
L’Encyclopédie des migrants déploie la question des migrations dans une approche sensible à travers la thématique de la distance. Qu’est-ce que l’éloignement produit sur l’individu ? Comment les repères sont-ils bousculés par l’acte d’abandon du pays d’origine ? Il s’agit alors de collecter les témoignages sensibles de personnes qui ont expérimenté des migrations dans leur parcours de vie. Concrètement le projet propose de partir à la rencontre de personnes migrantes, des personnes qui du fait de la traversée de frontières et l’installation au-delà de celles-ci portent des identités complexes et tentent de concilier des cultures différentes.

IMG_1674.jpgPOURQUOI UNE ENCYCLOPEDIE DES MIGRANTS ?
Cette encyclopédie se concrétisera sous la forme d’une production éditoriale, s’inspirant formellement de l’encyclopédie dans la version originale du XVIIIe siècle signée Diderot et d’Alembert, tout en jouant avec ses codes, mais en changeant le contenu.
Une encyclopédie est un ouvrage ou un ensemble d’ouvrages de référence visant à synthétiser et organiser le savoir existant ou une partie déterminée de celui-ci. A notre connaissance, il n’existe pas aujourd’hui d’encyclopédie sur les migrations des hommes. L’Encyclopédie des migrants se pose comme réceptacle d’une multiplicité d’histoires de vies, et détourne ainsi un symbole du savoir dit légitime pour se le réapproprier sous la forme d’une entreprise de fabrication d’un savoir populaire. Dans l’imaginaire collectif, l’encyclopédie est un ouvrage précieux renfermant un savoir légitime. Nous voulons exploiter le décalage entre l’objet précieux qui représente le monde des idées et un contenu sensible inédit, souvent dévalué. La finalité de cette encyclopédie non conventionnelle est de légitimer un autre type de savoir.

==> Le projet est soutenu par la Commission Européenne (programme Erasmus+), l’Institut Français, la Ville de Rennes, Rennes Métropole, le Conseil régional de Bretagne, le Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine et le Ministère de la Culture et de la Communication – Direction Régionale des Affaires Culturelles.