AVT_Pierre-Rabhi_5504-1_2.jpgPierre Rabhi. Faut-il encore le présenter ?
Pierre Rabhi est agriculteur, écrivain et penseur français d’origine algérienne, un des pionniers de l’agriculture biologique. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages, tels Paroles de Terre, une initiation africaine (Albin Michel, 1996) ; Manifeste pour la terre et l’Humanisme (Actes Sud, 2008) ; Vers la sobriété heureuse (Actes Sud, 2010) ; Éloge du génie créateur de la société civile (Actes Sud, 2011) ; il est co-auteur avec Matthieu Ricard, Christophe André et Jon Kabat-Zinn de Se changer, changer le monde (L’Iconoclaste, 2013)...

« C’est en laissant le spirituel imprégner le matériel que je suis devenu agroécologiste !... »

Pierre Rabhi, Dame Sagesse vous a invité à sa table et désirerait mieux vous connaître.

• Comment vous présenteriez-vous ?
Si je présente ma vie terrestre, je suis un petit enfant du désert, né dans le sud de l’Algérie. Confié très jeune à des Européens sans enfants qui m’ont éduqué, j’ai une double culture, ayant vécu aussi bien dans la tradition que dans la modernité. En évoluant dans le monde actuel, soit on peut rester ligoté par son passé et pétrifié dans ce qui est sa réalité, ou transcender le tout, ce à quoi je crois, et on devient alors surtout une Conscience.
Aujourd’hui, je peux dire que je n’ai plus d’appartenance particulière et suis libéré d’une grande partie de mon histoire, afin d’être disponible pour participer à une évolution positive du monde et de l’humanité. Ainsi, je ne suis pas uniquement dans la parole, mais aussi dans l’action. Avec l’agriculture écologique, je réponds à une nécessité extrêmement tangible, notamment la faim dans le monde. Aujourd’hui, nous devons être présents à cette réalité qui place l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations plutôt que le profit.

• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amené à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?
Avec ma compagne, quand nous avons décidé de quitter l’usine et de retourner aux sources de la vie, c’est-à-dire à la nature, j’ai voulu faire de l’agriculture. En la pratiquant, je n’ai pu que constater que celle-ci était inspirée du monde industriel et portait une atteinte grave à la nature par la chimie. Une évidence s’est alors imposée, celle de pratiquer l’agriculture différemment, en respectant la vie.
Tout naturellement, j’en suis venu à l’agroécologie, associer l’agriculture à l’écologie avec le souci à la fois de répondre à des besoins simples comme ceux de se nourrir et de préserver le patrimoine nourricier, le patrimoine de l’humanité, penser aux générations futures.
Je suis quelque peu désabusé par rapport aux religions qui proclament que Dieu a créé la Terre. Elles devraient être les premières écologistes en affirmant qu’il ne faut pas profaner la création ! C’est là qu’il y a eu une défaillance, car on ne peut se contenter d’accumuler des livres de théologie sur des rayons de bibliothèque, en oubliant que notre premier devoir est celui de préserver ce trésor, ce bien absolument extraordinaire que le divin nous a donné. Les religions auraient dû adopter une position de protection, de reconnaissance, de gratitude vis-à-vis de la nature !
Au départ, mon désir était tout simplement de respecter la vie, d’améliorer les sols, d’éviter l’empoisonnement de la nature, d’être dans la gratitude de ce qui nous est offert. Ma vie se nourrit de beauté et de silence. C’est en laissant le spirituel imprégner le matériel que je suis devenu agroécologiste !

• Quelle est votre vision du monde actuel ?
Ma vision du monde n’est pas très positive. Que faisons-nous de cette planète merveilleuse qui nous offre absolument tout ? Du commerce, du business, de la destruction, de la guerre... Je dis souvent que si des extraterrestres venaient nous visiter, ils diraient : « Ils ont beaucoup d’aptitudes, mais ce sont des crétins ! » Comment conclure que l’humanité est intelligente ? Je ne le peux, car la plupart de ses actes sont négatifs, comme si on avançait dans un obscurantisme total. Nous avons confondu aptitude et intelligence. Si l’aptitude est la capacité à faire des acquisitions, l’intelligence est au-delà ; elle est la lumière éclairant nos gestes et nos pensées, donnant du sens à nos actes. C’est ce qui nous manque cruellement, car nous nous sommes coupés du divin, le divin pris dans la perspective christique, dans le sens où l’amour est la puissance la plus élevée.
Aujourd’hui, soit l’humanité continue à transgresser, à avancer dans l’obscurité et elle s’éradiquera d’elle-même, soit elle se reconnecte à l’intelligence éclairant ses gestes et pensées, et elle retrouvera alors une forme de lucidité qui lui permettra de survivre. Cet ultimatum nous est posé. Je ne me fais pas trop de souci pour la nature, car elle s’est toujours remise des drames que la planète a vécus durant toutes ses évolutions.
Nous sommes en train de rendre la vie impossible aux générations futures, c’est une évidence. Nous sommes en train de les « génocider » par anticipation, par l’obscurantisme dans lequel nous sommes, obscurantisme travesti de science. Nous pensions que la science ferait la lumière, mais la science a aussi contribué à fabriquer des missiles, des bombes atomiques !!! Si j’étais la planète, je me débarrasserais de cette humanité parce qu’elle est incapable d’être en fraternité, d’être en amour avec ce qui l’entoure. Nous rendons plus hommage à la destruction, à la mort, par des armes terrifiantes. Durant ce temps, des enfants meurent de faim, des forêts sont dévorées, la mer est dévastée.
Nous devons retrouver le sentiment du sacré, ce sentiment profond de certains primitifs qui avaient des rites de reconnaissance, de gratitude. Respecter la vie, ne pas la profaner, être modéré dans ses besoins, sans cette boulimie, cette insatiabilité donnée par l’argent.
Voir notre planète comme une magnifique oasis.
Quel est le rôle de l’être humain ? C’est d’aimer, de prendre soin, et non de détruire, d’épuiser, d’enlaidir et s’autoproclamer comme le tout-puissant ! Nous devons retrouver la beauté, la simplicité, le sacré des choses. C’est dans la méditation du silence que la parole est la plus forte.

• Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attaché ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?
J’essaie d’incarner ces valeurs. Elles déterminent mon action et inspirent mes actes qui sont l’agroécologie. Ma mission est d’apprendre aux gens à aimer la terre qui les nourrit, la soigner et en prendre soin. Je pars d’un principe de sobriété, et donne à l’argent sa juste place. On a dit souvent que le progrès allait libérer l’être humain, alors qu’il est en train de l’incarcérer complètement. Les outils que nous créons pour améliorer notre existence nous asservissent. Supprimons le pétrole et l’électricité, et c’est l’effondrement généralisé de tout le système ! Soyons lucides. Je ne veux pas souscrire à un modèle qui fait travailler tout le monde, au bénéfice d’une minorité avec un culte incroyable du lucre. Le lieu où j’habite est magnifique, mes fenêtres s’ouvrent sur des forêts merveilleuses, un paysage splendide. Il y règne le silence, la paix, je me sens « milliardaire » ! On peut tout acheter, sauf la joie de vivre !

• À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?
Je transmets l’écologie. J’ai créé plusieurs structures dont la vocation est de servir le message et les valeurs qui me paraissent être les valeurs initiales. Essayons d’aller vers la paix, soyons en belle harmonie avec le réel, entrons dans cette merveilleuse symphonie que représente la vie. L’écologie aussi est une symphonie extraordinaire ; soyons paisibles avec nous-mêmes, les autres, le monde, tout en étant actifs. Les êtres humains ont la faculté d’esthétiser même les horreurs ! Cette esthétisation automatique fait qu’on ne voit plus la réalité dans sa cruauté.

• À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?
Il est indéniable que l’humanité est une et normalement indivisible. L’unité du genre humain est une évidence. La biosphère est merveille d’intelligence où la vie a mis en place sa pérennité. La terre a besoin du soleil, des étoiles, de la lune. C’est une immense symphonie de la vie, époustouflante de beauté. Voir ces mécaniques célestes est sujet à émerveillement. Je pense qu’il faut aller vers cette contemplation de la vie qui nous amène à son respect et arrêter de s’acharner à jouer une fausse note dans ce magnifique concert.
Je tente cette cohérence sans nier mes incohérences car, comme tout un chacun, je suis pris dans mes contradictions. Je roule en voiture, et non en char à bœufs, je pollue à ma façon. Je le fais, non par loisir, mais pour communiquer aux autres cet ensemencement des consciences. J’essaie de partager l’éveil qui m’a été donné avec mes sœurs et frères humains. Pour autant, je ne dis pas que je suis la source de la vérité. C’est à la terre que je dois ma vie, celle de mes enfants, de mes petits-enfants, c’est à la terre que je dois de contempler les arbres, le chant des oiseaux et je lui dois dévouement pour qu’elle soit respectée et pérenne. J’ai aussi un devoir envers les générations qui viennent auxquelles nous sommes en train de rendre la vie impossible.
Tant que l’humanité ne prendra pas sa responsabilité à l’égard de la vie, elle sera dans cette ornière. Il n’est pas possible de considérer quelque chose comme d’essence sacrée et le profaner !
La vie, ce n’est pas que naître, s’instruire, avoir un salaire et une situation ! Il n’y a jamais eu un modèle de société plus carcéral que le nôtre. L’être humain est fait pour aimer la nature, il est l’enfant de la nature, il est la nature et son milieu réel est la nature. Tenter dans l’incohérence du monde d’être cohérent avec soi-même est difficile, exigeant, mais c’est la plus haute expression de la liberté.

le_monde_a-t-il_un_sens.jpgUn mot pour conclure ? Il faut faire attention à ne pas compliquer la chose car c’est très simple : pour faire sa part, il suffit d’aimer, de respecter, de prendre soin de la vie, de la terre, de ce qui nous est donné, en rendant hommage. L’Amour est plus fort que des armées entières.

Pour rejoindre les Colibris : http://www.colibris-lemouvement.org...

A lire : « Le monde a-t-il un sens » de Jean-Marie Pelt et Pierre Rabhi. Un ouvrage incroyablement vivifiant ! Fayard ; 15€

Avenir-plat1.jpg Pour lire son témoignage au complet, page 247 dans L'avenir est en nous de Marie Clainchard - Ed. Dangles - mars 2014, sans oublier les témoignages de 42 autres aventuriers de l'existence… Ces témoignages vont raviver votre propre flamme, éveiller ou réveiller en vous l'aventurier, l'inventeur, le sage et le poète. Ils vous permettront de vous affranchir de certains conditionnements pour réinventer d'autres possibles, réorienter votre regard et vous laisser emporter dans le courant de la vie et de la créativité.