9728203-15686787.jpgLes éditions Eyrolles viennent de publier le dernier ouvrage d’Ezzedine El Mestiri (1) intitulé « L’art de vieillir dans la joie : donner plus d'années à la vie et plus de vie aux années ! ». Un livre de 156 pages, plein d’optimisme qui vous montrera qu’il existe autant de façons de vieillir que de personnes !

De plus en plus de livres s’intéressent au vieillissement. De fait, pas une semaine ne passe sans qu’un nouvel ouvrage traite de ce genre du sujet. Du ton le plus grave au plus léger, tous les styles et tous les genres existent. Avec à chaque fois cependant la même problématique : comment faire pour bien vieillir ? Voici le dernier livre paru sur la question : « L’art de vieillir dans la joie : donner plus d’années à la vie et plus de vie aux années ».

« Permettez-moi de porter, à travers cet ouvrage, un regard qui va à l'encontre du discours dominant sur la vieillesse. Et si vieillir était une bonne nouvelle ? indique l’auteur. Alors, comment faire de ce grand âge un moment de vie riche et passionnant ? Vieillir est un voyage intérieur qui permet de découvrir en soi de nouvelles ressources. C'est aussi garder un certain état d'esprit et une vie sociale vivante, fondée sur l'optimisme et l'attention aux autres. Vieillir, c'est cheminer en conscience et vivre avec son temps et le temps qui nous reste ; réfléchir au sens que l'on donne à sa vie afin de transformer toute la richesse de son expérience en espérance »

Loin des recettes miracles et toutes faites pour bien vieillir, l’auteur vous propose plutôt « de prendre les chemins de traverse, ceux qui mènent à vous-même et à votre épanouissement personnel à cette étape charnière de votre vie ». Dans cet ouvrage, de nombreux témoignages vous montreront qu'il existe autant de façons de vieillir que de personnes. Exercices à l'appui, l'auteur vous aide à vivre cette période de la vie avec optimisme.

AVT_Marie-de-Hennezel_3956.jpgDéjà, le 18 mai 2010, dans Le Monde, Marie de Hennezel, psychologue et écrivain, écrivait :

En 2010, Vieillir fait peur. Et cette peur n'est pas seulement matérielle. Il ne s'agit pas seulement de la crainte de ne pas avoir les moyens de jouir de sa retraite, d'être acculé par la maladie et la dépendance à vivre à l'écart des siens et loin de chez soi. Il s'agit d'un mal-être qui a sa racine ailleurs. Dans l'interrogation inquiète sur le sens des années qui restent à vivre, et qui rapprochent de la mort. Interrogation spirituelle qui se cache derrière la peur de ne plus être utile, aimable ou désirable, de ne plus avoir sa place dans le monde, d'être un poids pour la société. Qu'est-ce que vieillir ?

Changer notre regard

Des voix se sont élevées récemment pour dénoncer cette exclusion dramatique des personnes âgées dans un monde "jeuniste", pour rappeler que la vieillesse est une ouverture et non pas une fermeture, qu'elle est une chance et non pas un fardeau pour la société. Elles disent l'urgence de changer notre regard sur ce temps de la vie, en lui accordant sa valeur propre.
La vieillesse n'est pas seulement un déclin. Elle n'est pas seulement le signe avant-coureur du tragique et du néant avant la mort. Pour ceux qui refusent de vieillir et s'accrochent désespérément à leur jeunesse, vieillir peut être vécu comme un naufrage, mais pour d'autres, qui savent se transformer avec l'âge, mûrir, s'alléger, et se détacher, la vieillesse n'est pas un effondrement.
On se souvient de la manière dont Paul Ricoeur en parlait. Face aux deux fléaux qui la menacent, la tristesse et l'ennui, il proposait une stratégie : être attentif et ouvert à tout ce qui arrive de nouveau. Rester capable de ce que Descartes appelait l'admiration. C'est-à-dire rester jeune de coeur et d'esprit.
Cela suppose de ne pas subir passivement les assauts de l'âge, et c'est pourquoi je soutiens l'idée que vieillir est un "travail". Une tâche difficile qui suppose des deuils et des renoncements, mais qui ouvre sur de nouvelles perspectives.

Pourquoi Victor Hugo aurait-il parlé d'"éclosion", Robert Misrahi d'"entreprise de renaissance", si cette conscience heureuse du vieillissement était une utopie ? Pourquoi les centenaires d'Okinawa sont-ils les porte-bonheur de leurs enfants et petits-enfants qui les considèrent comme des trésors ? Quel est leur secret ? Ils voyagent en esprit, pensent leur vie, écoutent de la musique ou chantent, lisent, écrivent, contemplent, découvrent des oeuvres d'art, marchent, méditent.
Bref, ils vivent et font vivre ce qui en eux ne vieillit pas, la vie intérieure, s'appuyant sur ces ressources qui, non seulement ne diminuent pas, mais continuent à croître et à se renouveler : la joie, la bienveillance, la sagesse. C'est le paradoxe du vieillir : diminution sur un certain plan, croissance sur un autre.

Responsabilité éthique

Il est urgent, dans la désespérance actuelle, de montrer cet autre visage de la vieillesse, lumineuse et intéressante, afin qu'en vieillissant nous ne pesions pas de notre mal-être sur les jeunes générations. Imaginons que, demain, la vieillesse continue d'être vécue comme un échec à cacher. La tristesse, le désespoir, les marasmes psychiques engendrés par cette vision seront effectivement ruineux. Il est donc de notre responsabilité éthique de nous préparer suffisamment tôt, dans la vie, à cette révolution de l'âge, afin de transmettre aux générations qui viennent l'image d'un vieillir enviable, avec sa mission propre.

Le débat actuel autour de la réforme des retraites nous invite à une réflexion plus large, plus spirituelle. L'heure est venue de repenser la vie dans sa globalité et de développer, très en amont, cette vie du coeur, de l'esprit, qui trouve dans le terreau de l'âge ce dont elle a besoin pour croître.

==> Pour nous y préparer, Marie de Hennezel organisent des stages sur l’art de bien vieillir.

J’ai appris à accepter de vieillir

Bien vieillir est un art, assure Marie de Hennezel, psychologue et psychothérapeute, et il existe des clés pour avancer avec confiance sur ce chemin de la vie. Angoissée par les années qui filent, Hélène Mathieu, journaliste à Psychologies, la soixantaine toute fraîche, a assisté à l’un de ses séminaires.
Sur le formulaire d’inscription, une phrase incitative : « Un séminaire de cinq jours où Marie de Hennezel nous entraîne dans une conscience heureuse du vieillissement. » Même si j’ai du mal à imaginer que cinq jours peuvent suffire, la conscience douloureuse de mon propre vieillissement et mon admiration pour l’oeuvre et le travail de Marie de Hennezel me poussent à m’inscrire. Je suis confrontée aux sarcasmes rassurants de mes enfants : « Qu’est-ce que tu vas faire chez les vieux ? Tu n’es pas vieille ! » Je ne suis dupe ni de leur regard aimant, ni de leur refus de voir leur mère changer. Mon oeil est plus lucide. Je connais la moindre de mes rides et chacune des faiblesses de mon corps, un genou me fait parfois souffrir, j’oublie les titres des films et l’endroit où je viens de poser mes lunettes. J’ai 60 ans et je voudrais remonter le temps.



Premier jour : je joue avec mes images du vieillissement

Quelques semaines plus tard, dans le patio d’un hôtel charmant, je passe en revue avec malveillance la quinzaine de stagiaires réunis pour le pot de bienvenue : « J’ai l’air aussi vieille qu’eux ? » Puis Marie de Hennezel nous rejoint. On n’imagine pas lui demander son âge, elle est simplement belle et lumineuse. L’image de la sérénité souriante, du vieillissement accepté. Premier tour de table où chacun doit expliquer sa présence ici. Les réponses sont timides, évoquent la peur de la solitude, de la maladie, un veuvage torturant, l’image de parents à qui l’on ne veut pas ressembler. J’avoue ma crainte de peser sur mes proches, celle de devenir acariâtre, comme ces vieux que l’on fuit parce qu’ils se plaignent tout le temps. Marie écoute en silence, puis prend la parole. « C’est à notre génération d’inventer un nouvel art de vieillir. La tâche est lourde parce que notre société nous renvoie une image désastreuse de l’âge, mais il existe des clés pour y parvenir. Soyons des pionniers. » Puis elle évoque les centenaires de l’île d’Okinawa, au Japon, qui psalmodient chaque matin : « La chaleur du coeur empêche nos corps de vieillir. » Et vivent heureux parce qu’ils sont considérés par la population comme des trésors. « Essayons d’être des trésors et non des poisons pour les autres. La vieillesse peut être une croissance ou un naufrage. Il est facile d’en faire un naufrage, apprenons à en faire une croissance. »

Premier exercice, chercher dans notre entourage une personne très âgée à laquelle nous aimerions nous identifier et noter ses qualités. Se dessine alors le portrait idéal d’un vieux joyeux, enthousiaste, sachant transmettre ses connaissances aux plus jeunes, altruiste et ouvert aux autres, poursuivant encore un idéal et serein face à l’idée de la mort. Nous avons tous plongé avec plaisir dans cette recherche.



Nous poursuivons dans la même voie avec l’exercice du collage à partir d’images ou de phrases de magazines dans lesquels nous devons piocher. Sur une grande feuille que nous séparons en deux, nous devons placer sur une moitié les images négatives que nous avons de la vieillesse, sur l’autre les images positives. « Laissez-vous guider par votre enfant intérieur, jouez avec les mots et les images », conseille Marie. Chacun découpe et colle, comme à l’école. Ma feuille se remplit d’images sombres. Des mots en gras barrent la feuille, maladie, tristesse, silence, transparence, mort… Un visage au regard caché par un voile noir, trouvé dans une pub pour des chaussures de luxe, envahi l’espace, que je recouvre d’un ciel de nuages noirs. Sur la moitié où je dois coller les images positives, il reste à peine assez de place pour poser un bel arbre qui étend ses branches et une main de femme grande ouverte. La protection et l’altruisme.
Je réalise que j’ai collé avec un certain malaise les images négatives alors que chaque image positive a déclenché en moi un sourire intérieur. Si c’était le début de l’acceptation ? Nous commentons nos collages à Marie qui écrit nos peurs sur un tableau et termine cette première journée sur une phrase qui résonne en chacun : « Bien vieillir, c’est accepter des pertes. »

Deuxième jour : je médite sur ma peur de la mort

Le lendemain, nous nous retrouvons sur la pelouse en tenue de jogging. « N’oublions pas notre corps, insiste Marie. Nous devons l’habiter, nous sentir chez nous dedans. » Elle nous montre des exercices à faire chaque jour durant un quart d’heure. Étirements de chat, assouplissements, concentration sur le souffle. Elle nous incite à poursuivre une activité physique, quel que soit notre âge : « Nous pouvons toute notre vie faire les mêmes choses qu’avant, mais différemment. »
Après le déjeuner, nous nous préparons à un après-midi difficile. Nous allons aborder l’idée de la mort. « Méditer sur sa finitude permet de vieillir serein. » Elle évoque les Amérindiens, qui s’imaginent toute leur vie avec un oiseau sur l’épaule leur demandant chaque matin : « Et si c’était pour aujourd’hui ? » Leur journée se déroule avec l’idée qu’il s’agit peut-être de la dernière. Nous confrontons nos peurs de la mort. La mienne est terrorisante, m’empêchant parfois de plonger dans le sommeil. Si j’attends un bénéfice de ce stage, c’est l’acceptation de ma propre fin. Chacun en parle avec simplicité. Nous ne nous connaissions pas il y a deux jours et nous abordons en confiance un thème aussi intime. Magie des stages lorsqu’ils sont menés d’une main sûre.
En spécialiste de la fin de vie, Marie évoque son expérience auprès des mourants. Je l’interroge sur le dernier souffle. « Est-ce que certains hurlent de terreur ? » « On ne meurt pas en hurlant, on meurt lorsqu’on lâche prise. La plupart des gens meurent doucement, comme une bougie qui s’éteint. La souffrance est du côté de ceux qui restent. »

Troisième jour : je fais le ménage dans mes souvenirs

La nuit a été difficile pour beaucoup. Ce matin, les traits sont tirés. Marie apaise, parle de confiance, de bienveillance. Une femme quitte la pièce pour aller pleurer, seule dans le jardin. Une autre se lève pour la rejoindre. Les liens entre nous sont devenus forts.
« Une vie accomplie est une vie apaisée », explique Marie en évoquant l’exercice du jour. Il s’agit de se mettre en paix avec son passé. « Nous sommes encombrés par trois “R” : regrets, remords et rancune. Les “R” sont des poisons, des valises qui pèsent de plus en plus lourd en vieillissant. Il faut s’en débarrasser et se mettre au monde avant de disparaître. Les identifier permet de les voir en face de soi au lieu de les avoir dans le dos. »
Nous séparons une feuille en trois colonnes : regrets, remords, rancune. À nous de les remplir avec nos valises de mauvais souvenirs. Nous planchons en ruminant, chacun dans son coin, faisant remonter à la surface la mémoire de trahisons et d’occasions perdues, réfléchissant à la possibilité de faire la paix. « Il y a des pardons que je ne pourrai jamais accorder », affirme l’un des participants en terminant sa liste. « Les regrets nous empêchent d’aller de l’avant et la rancune tenace peut ressortir de façon terrible dans le grand âge », lui répond Marie.

Quatrième jour : j’écris pour ceux qui resteront

Le lendemain matin, nous marchons dans la rosée, pieds nus, les yeux presque clos, très lentement, pour sentir les herbes s’écraser sous nos pas. Une marche méditative en conscience. Certains ont du mal à se concentrer sur leur pas, la lenteur leur fait perdre l’équilibre. D’autres accélèrent le rythme. Ceux qui y parviennent reconnaissent avoir ressenti un immense bien-être.
Nous nous sentons apaisés, prêts pour l’exercice le plus difficile. Il nous reste une heure avant de mourir. Quel message voulons-nous laisser ? Chacun cherche un endroit dans lequel il se sente bien pour écrire en une heure une page recto verso. Pas plus, pas moins. Nous ne la lirons pas aux autres. Elle nous appartient. Je redoute d’être submergée par l’angoisse, de ne pouvoir trouver le premier mot. Et voilà qu’ils coulent sans peine. Après une heure, mes pages sont remplies. Pour la première fois, j’accepte l’idée de disparaître. J’ai conservé cette lettre. Elle sera trouvée et lue, un jour, et cette idée me fait du bien.

Cinquième jour : je cherche ma source de joie

Dernier jour, dernières clés pour apprendre à « s’alléger et s’éveiller », à croître au lieu de se détériorer. Nous cherchons quelle est notre source de joie, la nature dit l’un, les enfants pour une autre, la poésie pour moi, la musique ou le plaisir de transmettre. Nous abordons la peur de la solitude, que nous confondons souvent avec l’isolement. La solitude peut être magnifique et source d’immense bonheur, comme le dit l’écrivaine Jacqueline Kelen dans un texte que nous lit Marie. Puis elle nous cite cinq clés essentielles, tel un condensé de ces cinq jours : « Méditer sur sa finitude, s’alléger en faisant le ménage de ce qui nous encombre, apprivoiser la solitude en travaillant à être bien avec soi, prendre soin de soi physiquement et mentalement, et enfin faire de la place à sa source de joie. » Dans le train du retour, je n’arrive pas encore à mesurer les bénéfices de ce stage. Mon reflet dans la vitre me montre une image que je n’aime toujours pas, mais je sens que la terreur de la mort m’a lâchée, et je sais que certaines phrases vont me guider sur le chemin de l’acceptation. J’ouvre un livre de Marie, La chaleur du coeur empêche nos corps de rouiller, et je tombe sur ce passage : « Le jour où l’on pourra regarder des images de vieilles personnes avec émotion, s’identifier à elles sans réticence, se dire que l’on aimerait être comme elles lorsqu’on sera vieux, ce jour-là notre société aura fait un pas de géant. »



sm_cvt_La-chaleur-du-coeur-empeche-nos-corps-de-rouiller_9372.jpgLa chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller » - Robert Laffont - 2008
Le vieillissement inévitable ne nous condamne pas à la solitude, à la souffrance, à la déchéance, à la dépendance. L'auteur de La Mort intime, sans langue de bois, nous guide vers un véritable "art de vieillir ". Elle fait appel à son expérience de psychologue clinicienne, à ses rencontres avec des "vieillards magnifiques" comme son amie sœur Emmanuelle, pour nous montrer comment transformer en profondeur ce temps de notre vie, en apprivoiser les misères, en retirer les joies.







(1) Ezzedine El Mestiri est journaliste, auteur et ancien rédacteur en chef pour diverses publications.

(2) Psychologue et psychothérapeute, Marie de Hennezel s’est longtemps consacrée à l’accompagnement des personnes en fi n de vie. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages, dont La Mort intime, Le Souci de l’autre (Robert Laffont, 2001 et 2004), Mourir les yeux ouverts (Albin Michel, 2005), tous disponibles en poche chez Pocket. Elle a publié dernièrement, avec Bertrand Vergely, Une vie pour se mettre au monde (Carnets Nord). -